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“Les Visiteurs (3)” ou l’odeur de la Terreur

Sylvie Dallet, spécialiste des mises en scène et retranscriptions de la Révolution française au cinéma (plus de 300 films depuis 1898), analyse pour nous l’échec des Visiteurs 3, épisode situé durant la Terreur.


Dans la salle du « Lilas Étoile » (porte des Lilas, Paris) où j’ai vu le chapitre consacré à la Révolution française des Visiteurs, il y avait deux spectatrices. Quand le film s’est terminé, j’étais seule et bien ennuyée de devoir analyser une mélasse qui ne m’avait pas fait rire.

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Avant d’aborder l’imaginaire de la Terreur que met en scène ce film « comique », ce simple constat vaut introduction sur cette construction embrouillée des enjeux de mémoire. En 1993, Les Visiteurs, une confrontation burlesque de personnages du XIIe siècle immergés au XXe siècle, avait attiré quatorze millions de spectateurs, sacrant le film au top du box-office français de l’année, démultipliant ses recettes pour dix ans grâces aux adaptations à l’international. Vingt-trois ans plus tard, alors que le monde a changé par l’instabilité des régimes politiques et des lois, la misère des migrants et les attentats aveugles, le scénario tricote les mêmes ficelles : la gaudriole familiale (Jacquouille et Montmirail), les dialogues accordés aux excréments (la « merdasse », chiottes, pets, etc.) et la course-poursuite dans un espace-temps, dont les héros sortiront égarés, mais victorieux. Sorti en salles en avril, Les Visiteurs 3 : La Révolution a déjà déserté Paris, malgré l’effort publicitaire de la Gaumont dans la capitale. Il semble que le marketing ait simplement oublié, que l’on ne prend plus les vessies pour des lanternes en période de fragilité républicaine et que le public populaire, attentif aux avancées sociales de la démocratie, ne souhaite guère cracher sur les fondateurs de cette république.

Parmi les plus de trois cent œuvres consacrées à la Révolution française depuis 1898[[Cf. les ouvrages : Sylvie Dallet, La Révolution française à travers le cinéma et la télévision, 1988, Sylvie Dallet & Francis Gendron, Filmographie mondiale de la Révolution française, Lherminer /les Quatre vents, 1989 et articles complémentaires Dallet: « Bicentenaire de la Révolution » et « Cinéma », in Dictionnaire de la Contre-révolution, (Jean-Clément Martin dir.), Perrin, 2011.]] et les multiples adaptations télévisées, les films comiques sont rarement heureux, tant pour l’analyse historique que pour le succès public : Liberté Égalité Choucroute du français Jean Yanne (1984) ou les américains, Commencez la révolution sans nous de Bud Yorkin (1970) et La plus folle histoire du Monde de Mel Brooks (1982), pourtant présentés à leur sortie comme des essais politiques masqués, ne sont restés ni dans l’Histoire du cinéma, ni dans celle des idées.

Les images du scénario du réalisateur, Jean-Marie Poiré, allié comme en 1993 à l’acteur et producteur Christian Clavier, doivent être confrontés aux entretiens mesurés qu’ils accordent à une presse sélectionnée[[Entretien donné au Figaro.]]. Christian Clavier décrit ainsi la France révolutionnaire :

« Il y a le meilleur et le pire. La France est créative, l’art se libère, les femmes aussi, les avancées intellectuelles sont réelles. Mais on risque aussi à tout moment l’arrestation et l’échafaud sur simple dénonciation. La laïcité est également au cœur du film. Comme Jacquouille dit toujours “hosanna !”, la sœur de Robespierre lui enseigne le hourra ! “C’est plus laïc”, dit-elle. Donc le “hourra c’est plus laïc” devient son leitmotiv. Le film a une référence moderne »

Le récit fait pourtant fi de cette bienveillance laïque envers une « créativité » française, qui traîne systématiquement les évêques et les personnes âgées à l’échafaud. Notons, pour mémoire, que certains y ont échappé : Marat, par exemple, longuement décrit par le film dans ses démêlés avec sa baignoire, contrepoint des odeurs qui fondent la respiration du scénario. En résumé, les personnages principaux de ce violent printemps 1793, sont les nobles Montmirail (ancêtres et descendants) associés aux paysans-prolétaires Jacquouille (ancêtres et descendants), égarés dans l’espace-temps de la Terreur d’Issoudun, puis de Paris. En figures secondes de cette gémellité qui conspue le « bourgeois », les classes moyennes sont incarnées par la concierge parisienne et son amant (un garde national noir) qui surveillent les allées et venues des Conventionnels notoires : Marat, le Comité de salut public, Charlotte Robespierre. Notons que Marat occupe un étage de l’immeuble républicain, la sœur de Robespierre, Char-lotte en occupe un autre, loué par son amant Jacquouillet[[Dans ses Mémoires, Charlotte de Robespierre (1760-1834) mentionne que Fouché, proche de Collot d’Herbois, lui aurait proposé de l’épouser. Elle évoque comme raison de leur rupture les exactions commises par Fouché, lors de ses missions en province. Fouché serait-il le modèle de Jacquouillet ?]] (descendant de la Fripouille médiévale). Le député modéré Malfète de Montmirail vit sous les combles, où, quand il ne lutine pas la maîtresse du dramaturge Collot d’Herbois, il héberge une encombrante famille de para-sites. Les deux personnages émancipés de la saga familiale sont « l’oiseau des îles » (le soldat noir pingre), et Charlotte, la sœur passionnée de Robespierre, qui l’écarte pourtant des affaires (politiques), dès qu’il découvre le peigne qu’il lui a offert, immergé au fond des toilettes (publiques).

Au-delà des plaisanteries liées aux fèces et des outrances des conventionnels peigne-culs (Robespierre dur et énigmatique, Couthon le paralysé irascible, Marat, représenté comme le plus sympathique, écrivain frénétique et gourmand invétéré et les inévitables hypocrites de service), on peut se demander où va la pensée du spectateur. La mécanique de la gaudriole pourrait être appliquée à n’importe quelle époque… sauf qu’elle s’attache ici aux trois périodes phares de la légende française : Le Moyen Âge campagnard, la Terreur urbaine et la Résistance forestière. Il n’y a pas de délit de blasphème sous la République, simplement quelques images d’Épinal qui font mal. En effet, ces pastiches historiques menés sur un mode binaire, valorisent le courage taciturne de Godefroy le Hardi, père d’une lignée Montmirail, que l’on retrouve, dans un dernier saut temporel… hardiment aux côtés des résistants de 1944, tandis que le descendant du peuple, issu de Jacquouille la Fripouille, collabore avec l’occupant, comme son ancêtre fut un profiteur de la Convention. Paradoxalement les héritiers des Montmirail ont boudé le film et on comprend que les héritiers des Fripouilles populaires hésitent à y traîner leurs enfants.

Sylvie Dallet

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