Tribune publiée dans l’Humanité, le jeudi 17 août 2017, par Mickaël Musto, étudiant en Histoire de la Révolution française à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Par Mickaël Musto, étudiant en Histoire de la Révolution française Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Célébrée ou rejetée, la Révolution française divise toujours autant la société. Quand certains se réclament de son héritage, d’autres n’hésitent pas à retomber dans les pires clichés. Le journal « Le Point » en est un exemple parfait. Dans son édition du 10 août 2017, l’hebdomadaire consacre tout un dossier aux années de la Révolution française, réduite aux années 1793-1794 et à « la Terreur ». Celle-ci serait une dictature appliquant une violence et une répression sur tout le territoire, dont la responsabilité se résumerait quasi uniquement à Robespierre, dictateur sanguinaire. En somme, la Révolution ce sont des années noires, annonciatrices des régimes totalitaires du XXIe siècle.
Une vision bien éloignée de la réalité, mais qui s’inscrit dans une longue tradition de rejet de la Révolution française commencée peu après l’élimination de Robespierre, par ceux-là mêmes qui y ont contribué. Cette fiction se construit dès le 28 août 1794 quand le député de la Convention nationale Jean-Lambert Tallien prend la parole. Il y dénonce à plusieurs reprises un « système de la terreur » dirigé par un seul homme, Robespierre, agissant en monarque absolu. La France serait alors gouvernée par l’émotion et la peur. C’est « l’invention de la Terreur ».
Robespierre, dictateur sanglant ?
Député du Tiers état aux états généraux, puis à la Convention nationale, membre du Comité de Salut public, Robespierre a évidemment été un responsable politique de premier plan. Mais le qualifier de dictateur et lui imputer la responsabilité des violences est une erreur. Il n’était ni seul, ni le membre le plus influent. Considéré comme Montagnard (à gauche), Bertrand Barère a par exemple été l’un des instigateurs de l’élimination de Robespierre et de ses partisans à la fin de juillet 1794. De plus, siégeaient à la Convention nationale 748 autres membres chargés de voter les lois et les décrets appliqués par les différents comités, et d’en élire les membres. Le Comité de salut public, dont Robespierre a fait partie, était composé de onze membres, élus chaque mois. Souvent en conflit avec eux, les membres du Comité de sûreté générale étaient, en théorie, chargés de la justice et de la police.
Radical, Robespierre n’était pour autant pas le tyran souvent décrit. Il a été à l’origine de la proposition de décret de citoyenneté des juifs voté le 28 janvier 1790. Le 13 mai 1790, il prononce à la Convention un discours en faveur de l’abolition de l’esclavage : « Périssent les colonies, s’il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté. » Quant à son rôle dans le gouvernement révolutionnaire, loin d’encourager les violences, il a au contraire tenté de les encadrer, voire de les limiter. Tallien, responsable des massacres à Nantes durant la guerre de Vendée, Collot d’Herbois de ceux de Lyon, ont par exemple été rappelés pour leurs exactions. Ces « ultras » ont d’ailleurs été à l’origine de l’élimination de Robespierre et de ses partisans.
La responsabilité du gouvernement révolutionnaire dans les massacres
Du printemps 1793 à l’été 1794, les Français vivent sous les institutions du gouvernement révolutionnaire. Les libertés individuelles et collectives sont restreintes, les arrestations et les exécutions nombreuses. Outre les 170 000 morts pendant la guerre de Vendée et les 200 000 morts causés par la guerre extérieure, l’historien Jean-Clément Martin rappelle que sur l’ensemble de la population française, soit 28 millions de personnes, 35 à 40 000 ont été victimes de la répression politique « officielle » (Révolution et Contre-Révolution, 1996). A titre de comparaison, à Saint-Domingue, dans ce qui deviendra Haïti, 350 000 esclaves peuplent l’île. 100 000 sont morts de la guerre civile. 100 000 autres ont été victimes des massacres et des maladies pendant l’expédition de Napoléon entre 1802 et 1803. Il ne s’agit nullement ici de relativiser le nombre de morts, d’excuser les massacres, ou de surévaluer le poids du contexte, mais de replacer les événements dans celui-ci.
Depuis 1792, la France est en guerre contre les monarchies européennes : la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Autriche, l’Italie, les Provinces-Unies. A l’été 1793, les troupes étrangères sont dans les Pyrénées, le Rhin et les Alpes. A l’intérieur, la guerre civile touche de nombreux endroits, et notamment la Vendée. Face à ces menaces, nombre de personnalités politiques ont participé à la mise en place d’un système d’exception, celui du gouvernement révolutionnaire. C’est la loi des suspects du 17 mars 1793, le décret du 19 mars de la même année permettant, en vingt-quatre heures, d’arrêter, de juger, et d’exécuter les rebelles pris les armes à la main, ou encore la loi de Prairial du 10 juin 1794 qui renforce les attributions du Tribunal révolutionnaire.
« La Terreur » : un système de violence et de répression généralisées ?
« La Terreur » ne s’abat toutefois pas sur l’ensemble du territoire. Tous les individus dénoncés ne sont pas arrêtés, tous les nobles et étrangers ne sont pas expulsés de Paris et des villes fortes. L’historien Guillaume Mazeau (Pour quoi faire la Révolution ?, 2012) explique que de nombreux endroits du territoire, comme l’Eure ou les Vosges, ne sont pas touchés par la répression. Laurent Brassart a lui montré que les municipalités de l’Aisne ont même pu connaître un apogée des pratiques démocratiques (Les politiques de la Terreur 1793-1794, 2008).
Ce moment d’entre-deux, le clergé le connaît aussi. Dès les premières années, les hommes de la Révolution, sous la demande d’une partie de la population et du bas-clergé, réorganisent l’Eglise avec la Constitution civile du clergé du 12 juillet 1790. En parallèle, la « déchristianisation » se poursuit avec la descente et la fonte des clochers des églises. Le pouvoir politique tente d’encadrer ces comportements et de limiter les destructions. Le 24 octobre 1793, est interdit la destruction des objets d’arts, y compris religieux. Un décret est voté le 6 décembre pour rappeler la liberté de culte.
Et dans la fiction de « la Terreur » généralisée, il y a « le génocide vendéen ». Mais contrairement à ce qu’affirme le juriste Jacques Villemain, ce qui s’est passé en Vendée n’est pas un génocide, c’est-à-dire la volonté de supprimer tout ou partie d’une population. Les membres de la Convention ont bien voté des lois liberticides. Mais le nombre de victimes de la répression politique, au maximum 40 000 personnes, le fait que les massacres s’inscrivent dans des rapports de force locaux et non d’une volonté politique plus globale, le rappel des envoyés en mission responsables des massacres, permettent de balayer cette thèse. Une thèse, qui comme le reste, sert surtout à rejeter toutes les transformations qu’a pu connaître la France durant ces années-là.
L’héritage de la Révolution en ligne de mire
Car la Révolution, ce n’est pas uniquement la violence et la guerre civile. C’est aussi un formidable moment d’innovations. Une première forme de sécurité sociale est née avec les premières caisses d’assurance maladie et de retraite, ou avec les politiques de redistribution envers les plus démunis. Les prix des produits de première nécessité ont été bloqués. L’éducation a été rendue obligatoire. Le suffrage populaire et la souveraineté du peuple ont été instaurés. L’esclavage a été aboli dans les colonies antillaises et pour la première fois on a parlé de « crime de lèse-humanité ».
Au fond, à travers la Révolution, c’est tout cet héritage profondément républicain, social, et humaniste, que le journal « Le Point » rejette, avec ce qui est ni plus ni moins, qu’une instrumentalisation de l’histoire.