Publié dans l’Humanité le lundi 8 octobre 2018
Article pour L’Humanité du 8 octobre 2018
Michel Vovelle, autant qu’un ami ou un frère, était pour moi, depuis soixante-trois ans, cet absolu compagnon dont la perte aujourd’hui m’étreint douloureusement. Je nous revois en juin 1955 quand nous nous sommes connus, assis devant la porte du bureau de l’Institut d’histoire économique et sociale de la Sorbonne portant sur nos genoux le mémoire de fin d’études que nous allions soumettre au Professeur Labrousse, notre maître à tous deux : pour lui, deux forts volumes consacrés à la Beauce au XVIIIe siècle, sa terre natale, qu’il avait explorée en profondeur, pour moi, un squelettique récit des troubles agraires en 1848 dans le département du Gard dont le seul mérite était d’avoir découvert que Marx les avait repérés ! Depuis, nous ne nous sommes jamais éloignés : il me sollicitait autant que d’envie, je m’inspirais de ses recherches et de ses travaux incomparables dont la trace et l’influence se voit dans tout ce que j’ai pu écrire : que serais-je sans lui ? En 1989, président omniprésent de l’organisme du C.N.R.S. chargé de la commémoration mais aussi de la Commission internationale d’histoire de la Révolution française, Michel fut l’homme du bicentenaire « historien » de « notre » révolution, intervenant en tout lieux et sur tous les continents : savant incroyablement découvreur dont la science et l’humour s’imposaient sur toutes les places, mais aussi porteur de cette flamme qui vivait en nous comme on le mesura singulièrement à Arras, quand, à la suite de Mathiez, il salua avec respect et hauteur de vue la mémoire de Maximilien Robespierre ! Jamais dupe de personne, toujours avisé, en permanence à l’affut du moment et du lieu où il était indispensable de parler vrai : tel fut Vovelle. Donneur de leçons ? Non ! Mais ferme dans l’exigence de rigueur et d’inventivité qu’il exigeait en permanence de celles et ceux dont il dirigeait les travaux et les thèses. Adhérent au Parti communiste français depuis son passage à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud et par delà les obligations de la carrière ou les aléas circonstanciels, il l’est resté jusqu’à son dernier souffle, mais il le fut à sa façon, comme beaucoup d’autres, très éloigné des pamoisons ou des élans intempestifs, en humaniste laïque, en rationaliste convaincu pour qui « Marx » et « Lénine » ne sont pas plus aujourd’hui qu’hier des vielles lunes qu’on jette aux oublies : il réitéra avec éloquence et émotion cette fidélité lors des obsèques de son camarade et ami Claude Mesliand décédé le 14 janvier dernier à Aix-en-Provence. Ses derniers livres, souvent rétrospectifs, le prochain paraissant à la fin de ce mois d’octobre 2018, sont des pierres d’angle du patrimoine intellectuel de la France depuis un demi-siècle : personne ne pourra l’ignorer comme je m’évertuais à l’en persuader au cours de nos dernières rencontres, hélas interrompues. Mais il souffrait récemment qu’on ne le comprît point autant qu’il le souhaitait : l’avenir donnera tort à son pessimisme terminal quand il sentait devenir proche la mort inévitable sur laquelle il a écrit d’inoubliables ouvrages, lesquels n’ont d’ailleurs jamais apaisé sa fureur de vivre.
Michel Vovelle demeure présent en moi comme dans la mémoire de celles et ceux qui l’ont admiré et aimé. Cela ne suffit pas : il faut aussi que ce qu’il nous a transmis contribue à vivifier le présent et l’avenir. Pour ma part je m’emploierai à le rappeler dans le temps qu’il m’est encore imparti de vivre ! Je veux aussi dire mon affection à ses filles, Sylvie et Claire et à leurs enfants, qu’il a beaucoup aimés.
Claude Mazauric, Nîmes, le 6 octobre 2018.