Colloques, journées d’étude et conférences

Police et territoires dans l’Europe napoléonienne

Lieu Rome : Palazzo Caetani ; Museo napoleonico di Roma

Dates : 22-24 septembre 2021

Argumentaire

La police napoléonienne offre ce paradoxe d’être à la fois familière et méconnue. Au sein de l’historiographie consacrée à la police, peu de périodes suscitent en effet autant de fantasmes que le Consulat et le Premier Empire. L’image de la toute-puissance de la police napoléonienne tient, aujourd’hui encore, à l’attrait pour les complots d’État et pour les grandes figures du régime qui ont, souvent elles-mêmes et dès le XIXe siècle, contribué à assoir la réputation sulfureuse de cette institution. Depuis quelques années cependant, les travaux se multiplient et renouvellent en profondeur les connaissances sur les différents aspects de la police du régime napoléonien. Si des éclairages sur certaines pratiques policières ou certaines régions de l’Empire mettent désormais en lumière l’hétérogénéité, la part de modernisation autant que les difficultés sur certains terrains sensibles de l’expérience de la domination napoléonienne, force est de constater que nombre de pans du système policier impérial demeurent des zones d’ombres.

Ce colloque international a pour objectif d’interroger le lien entre la police et l’espace impérial, en étudiant l’administration, les pratiques policières et le contrôle du territoire dans les départements dits « de l’intérieur », dans ceux annexés, ainsi que dans les différents espaces placés sous contrôle impérial, comme les États satellites et les territoires ultra-marins. Il ambitionne de mettre en lumière la diversité des configurations policières et leurs évolutions dans l’Empire, en comparant plusieurs profils d’espaces : départements anciens/départements annexés, départements frontaliers/départements ruraux de l’intérieur, colonies, espaces sous domination militaire, etc. ; et de les tenir ensemble pour interroger différents aspects de l’ordre public dans chacun de ces espaces, à diverses échelles. Ainsi, il est possible de réfléchir également aux relations d’interdépendance nouées entre les différents échelons de la hiérarchie policière et entre les différents espaces de l’Empire dans le but de faire ressortir les réseaux de surveillance et de contrôle qui connectent les territoires administrés par le régime impérial et leur bureaucratie.

Un premier axe d’études cherche à questionner l’existence ou non d’un système policier centralisé, en réinterrogeant le rapport entre centre et périphérie(s). Cet axe questionne aussi le rapport du maintien de l’ordre avec le politique, en envisageant le rapport entre l’ordre public local et les directives venant de Paris. Dans cette perspective, le rôle des conseillers d’État chargés d’arrondissements de police (créés par Fouché) constitue par exemple un point d’accroche pertinent pour saisir comment circulent les informations et les directives entre l’échelon central et l’échelon local. Ce premier angle d’attaque permet également de comparer différents espaces, et de questionner la coexistence de plusieurs « mondes policiers » dans l’espace napoléonien : face à certains départements considérés par la police comme « sensibles », et focalisant l’attention et les moyens policiers, d’autres départements, notamment les départements ruraux, semblent bien plus délaissés – y compris par l’historiographie passée ou actuelle. Il invite aussi à observer les héritages à travers la réinterprétation des pratiques, le maintien des hommes en place et la réutilisation des techniques des polices d’Ancien Régime. On peut donc interroger la manière dont le maintien de l’ordre public s’incarne de différentes manières selon ces différents espaces, en questionnant comment – et par qui – est exercée la police quand les moyens matériels et financiers manquent.  On peut envisager ainsi le rôle spécifique de la municipalité (échelle locale) en matière de maintien de l’ordre, celui du préfet (échelle départementale), mais aussi comment, à une échelle encore plus « microscopique », l’ordre public est exercé grâce au concours de différents acteurs socio-institutionnels (les policiers, les gendarmes, l’armée, les gardes nationales, les gardes champêtres et forestiers, ainsi que les curés de paroisse et les notables…). Cette optique comparatiste s’enrichirait de contributions sur l’ordre public dans les colonies françaises, visant à considérer la spécificité ou non de tels espaces sur le plan du maintien policier de l’ordre ; mais également sur les différents espaces dominés (royaume de Westphalie, royaume de Naples, etc.) en questionnant notamment les interactions entre les autorités impériales et leurs homologues dans les États satellites. En outre, l’analyse des rouages du système policier impérial et de sa bureaucratie ne peut faire l’impasse sur la question des archives de la police. Une attention particulière sera donc portée sur leurs caractéristiques et leurs usages.

Un second axe d’études vise à soulever l’existence de connections policières à l’échelle impériale à travers l’examen de plusieurs cas de figure. Cette perspective d’analyse multiscalaire, qui prend en compte les évolutions récentes de l’historiographie liées notamment à l’imperial turn, permet de faire ressortir les adaptations du dispositif policier impérial dans des contextes différents (locaux, régionaux comme transrégionaux) où la police napoléonienne (ou les différents acteurs chargés de missions policières) doit agir. Comme l’ont montré les travaux collectifs dirigés par Catherine Denys, les modèles administratifs circulent et s’hybrident au contact des terrains où ils sont implantés. Dans ce sillage, il ne s’agit pas seulement d’étudier la transmission des ordres « par le haut » et leur application (ou non) sur le terrain, mais également les circulations horizontales de pratiques, d’informations, voire d’hommes. Le troisième arrondissement de police, qui correspond aux départements au-delà des Alpes, constitue par exemple un point d’observation privilégié pour analyser les échanges entre les bureaux des directions générales (Turin, Florence, Rome), les commissariats généraux (Gênes, Livourne) et les préfectures italiennes. À l’échelle impériale, le maillage territorial qui se dessine dépasse la dimension départementale (qui reste cependant le point de départ auquel les fonctionnaires font toujours référence) et nous amène à nous pencher sur les stratégies de surveillance « trans-étatiques » mises en œuvre par les polices, ainsi que par les diplomaties impériales et des États alliés. À cet égard, il est important de prendre en compte les connexions policières établies entre les fonctionnaires en poste dans les zones frontalières de l’Europe napoléonienne. Cette perspective permet notamment de repenser les dynamiques du contrôle étatique qui se déploient aux frontières politiques et au-delà de celles-ci, en abordant les géographies policières aux marges de l’Empire. C’est donc à travers cette approche que l’on pourra envisager les multiples facettes du « modèle impérial » de police bâti par l’administration napoléonienne dans l’espace européen au début du XIXe siècle.

Modalités de contribution

Les propositions de communication (max. 2500 caractères), formulées en français, italien ou anglais, seront envoyées aux organisateurs (jeannelaurelequang@gmail.com, antoine.renglet@uclouvain.be; francescosaggiorato@gmail.com) pour le 15 mars 2021 et devront être accompagnées d’un court curriculum vitae.

Comité d’organisation

  • Jeanne-Laure Le Quang (Université Paris 1-Panthéon Sorbonne)
  • Antoine Renglet (Université catholique de Louvain)
  • Francesco Saggiorato (Università di Roma, Tor Vergata – Université Paris 1-Panthéon Sorbonne)
  • Aurélien Lignereux (IEP-Grenoble)
  • Marina Formica (Università di Roma “Tor Vergata”)
  • Chiara Lucrezio Monticelli (Università di Roma “Tor Vergata”)

Institutions organisatrices

  • Société des Études robespierristes
  • Université catholique de Louvain
  • Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
  • Università di Roma, Tor Vergata

Comité scientifique

  • Gilles Bertrand (Université de Grenoble)
  • Jacques-Olivier Boudon (Université Paris 4-Sorbonne)
  • Michael Broers (Oxford University)
  • Vincent Denis (Université Paris 1-Panthéon Sorbonne)
  • Catherine Denys (Université de Lille)
  • Laura Di Fiore (Università Francesco II – Napoli)
  • Maria Pia Donato (CNRS Paris-IHMC)
  • Stefano Levati (Università di Milano)
  • Virginie Martin (Université Paris 1-Panthéon Sorbonne)
  • Xavier Rousseaux (Université catholique de Louvain/FNRS)

Références bibliographiques

Michael BROERS, « Napoleon, Charlemagne, and Lotharingia : Acculturation and Boundaries of Napoleonic Europe », The Historical Journal, vol. 44, 2001-1, p. 135-154.

Jane BURBANK and Frederick COOPER, Empires in World History. Power and the Politics of Difference, Princeton, Princeton University Press, 2010.

Catherine DENYS (dir.), Circulations policières  : 1750-1914, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2012.

Catherine DENYS, La police de Bruxelles entre réformes et révolutions (1748-1814)  : police urbaine et modernité, Turnhout, Brepols, 2013.

Laura DI FIORE, Jonas HAGMANN, Aurélien LIGNEREUX, Beatrice DE GRAAF, Christos ALIPRANTIS, Chiara LUCREZIO MONTICELLI, Clive EMSLEY, « National security as a transnational issue. The nineteenth-century origins », Contemporanea, XXII, 4, 2019, p. 609-651.

Jeanne-Laure LE QUANG, « Position de thèse : Haute police, surveillance politique et contrôle social sous le Consulat et le Premier Empire, 1799-1814 », Annales historiques de la Révolution française, n° 399, 2020-1, p. 215-225.

Aurélien LIGNEREUX, Servir Napoléon  : policiers et gendarmes dans les départements annexés, 1796-1814, Seyssel, Champ Vallon, 2012.

Chiara LUCREZIO MONTICELLI, Roma seconda città dell’Impero. La conquista napoleonica dell’Europa mediterranea, Roma, Viella, 2018.

Antoine RENGLET, « Un système policier impérial  ? Le commissaire général et la police municipale d’Anvers (1808-1814) », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, vol. 20, n° 1, 2016, p. 107-127. Francesco SAGGIORATO, « Migrations saisonnières et procédures d’identification dans l’Apennin septentrional à l’époque napoléonienne », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 143, 2019, p. 59-73.