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Appel à communications Familles en (contre-)révolution, (contre-)révolution en famille. Mobilisations, conflits et transmissions politiques (1789 et au-delà)

Familles en (contre-)révolution, (contre-)révolution en famille.

Mobilisations, conflits et transmissions politiques (1789 et au-delà)

Argumentaire :

« Guerre aux châteaux, paix aux chaumières » décrète la Convention nationale en décembre 1792, peu après la victoire de Jemmapes. Pour autant, l’harmonie règne-t-elle véritablement dans les ménages, confrontés à un séisme politique d’une rare ampleur plongeant de nombreuses familles dans des situations de conflictualité qui minent leur cohésion et leur équilibre, mettant ainsi de nombreuses chaumières sous tension ?

Les renouvellements historiographiques de l’histoire de la famille, de l’histoire des femmes et de l’histoire sociale de la Révolution française (Marie-Françoise Lévy 1991 ; Philippe Daumas 2003 ; Anne Verjus et Denise Richardson, 2011) ont considérablement fait progresser nos connaissances des comportements familiaux en situation révolutionnaire : relations au sein du couple, rapports parents/enfants ou frères et sœurs (Anne Verjus, 2010 ; Jacques André, 1993), pratiques religieuses familiales pendant et après la « Terreur », représentations (Lynn Hunt, 1992), etc. Mais qu’en est-il de l’engagement politique et du positionnement idéologique dans les familles ? La politique est-elle une « affaire de famille » ? En effet, si divers travaux ont montré la forte perméabilité, sinon l’effacement des frontières, entre la sphère familiale et le politique – ou, pour le dire autrement, entre le privé et l’espace public – (Jean Bethke Elshtain, 1982, Geneviève Fraisse, 2000) -, la question se pose avec acuité pour la période révolutionnaire, pour laquelle les recherches de l’historienne Suzanne Desan ont montré qu’on ne pouvait plus opposer un espace public politisé à un espace familial privé qui en serait préservé, la « politique domestique » prolongeant ainsi la sphère publique révolutionnée (Suzanne Desan, 2004).

Si la famille interfère avec le politique bien avant la Révolution française, le processus révolutionnaire refond la relation famille/politique. En effet, en élargissant la sphère politique à un plus grand nombre d’acteurs et d’actrices et en multipliant les objets de conflits et de clivages, la Révolution redéfinit le rapport au politique et s’infiltre dans de nombreux foyers, mobilisant, déstabilisant ou divisant ménages et parentèles. En outre, comme l’a montré Jennifer Heuer, famille et Nation, forment deux entités juridiques, imposant des devoirs à leurs membres, notamment d’obéissance et de fidélité, qui entrent en concurrence dès les premières années de la Révolution française (Jennifer Heuer, 2005). Dès lors, la Révolution crée un paradoxe inédit dans lequel les individus peuvent être conduits à devoir choisir entre loyauté familiale (épouse ou enfant envers le pater familias) et loyauté envers la Nation. Tiraillées entre plusieurs appartenances (« société naturelle » et société politique, « gouvernement domestique » et gouvernement politique) qui ne se recoupent pas toujours, et confrontées à ces contradictions, les familles ne réagissent pas de manière uniforme. En d’autre terme, la Révolution peut resserrer des liens, souder les membres d’une parentèle face à l’épreuve, ou, au contraire, éloigner et désunir.

En dépit de quelques travaux pionniers et dispersés (Anne Rolland-Boulestreau, 2004), aucune synthèse récente n’a été consacrée à ces questions. Dans le prolongement de l’enquête sur l’amitié en Révolution (organisée par Côme Simien, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Philippe Bourdin, Cyril Triolaire, Karine Rance, Université Clermont-Auvergne, en partenariat avec la Société des études robespierristes), ce colloque se propose d’interroger, à nouveaux frais, l’incidence de la politisation dans les relations familiales et inversement.

Depuis une vingtaine d’années, la multiplication des enquêtes mobilisant les écrits du for privé et autres archives de l’intime offre à l’historien l’opportunité de s’immiscer dans les coulisses et d’enrichir sensiblement son analyse en lui apportant une dimension inédite. Cette rencontre scientifique invite à décentrer les regards, en pénétrant dans la plus stricte intimité des acteurs, pour appréhender l’engagement politique des individus au prisme de la cellule familiale. En adoptant un cadre géographique (France, colonies, Europe de l’émigration) et chronologique large, il s’agira, en multipliant les angles d’approche (micro-analyse, monographie familiale sur la longue durée, échantillon de plusieurs familles, etc.) de mieux comprendre comment sont perçus et vécus, de l’intérieur, les nombreux clivages politiques (au sens large) qui agitent et fracturent la société révolutionnaire.

Le présent colloque se propose d’explorer trois axes principaux (qui n’ont rien d’exhaustifs) :

–  Faire la Révolution/Contre-révolution en famille

 

Ce premier axe s’intéressera aux engagements politiques partagés par plusieurs membres d’une même famille : le père et ses enfants, les fratries, comme dans le célèbre cas des frères Lameth, sans oublier les couples, etc. En effet, des études récentes (Siân Reynolds, 2012 ; Annie Duprat, 2016 ; Hervé Leuwers, 2018) insistent sur la forte politisation de certains couples de notables. Mais qu’en est-il des autres catégories sociales ? Les conjoints et les conjointes épousent-ils également – et jusqu’à quel point – les idées politiques nouvelles ? En mettant l’accent sur le couple, il s’agira notamment d’apporter un autre regard sur la place des femmes dans les mobilisations politiques révolutionnaires. Par ailleurs, ce premier axe sera également l’occasion de s’interroger sur la portée politique et symbolique du choix de fonder une famille. En effet, pour certains individus, privés de ce droit sous l’Ancien Régime, tels que les ecclésiastiques qui choisissent de se marier, fonder une famille constitue un acte politique particulièrement fort (Xavier Maréchaux 2017, Claire Cage 2015).

Familles déchirées, familles réconciliées :

Les membres d’une même famille ne partagent pas toujours les mêmes opinions, tant s’en faut. Les frères Mirabeau en fournissent un parfait exemple. Par conséquent, des antagonismes peuvent se manifester au sein du ménage ou d’une parentèle et menacer son équilibre en accentuant des tensions préexistantes. Le facteur religieux constitue une entrée particulièrement intéressante pour appréhender ces crises « internes » (Paul Chopelin, 2010). Cet axe se propose de comprendre quelles peuvent être les répercussions familiales d’engagements politiques différents. Perçoit-on des tensions dans les couples, des conflits intergénérationnels, déchirant parents et enfants, politiquement opposés ? Jusqu’où les antagonismes révolutionnaires peuvent-ils conduire les membres d’une même parentèle ? Une rupture irrémédiable est-elle possible ou la survivance de liens familiaux, bien que très distendus, permet-elle d’entretenir un certain dialogue au plus fort des crises politiques ? Il s’agira, enfin, de comprendre comment ces familles déchirées se reconstruisent et se réconcilient après la Révolution. Anne Rolland-Boulestreau a récemment montré que la réconciliation familiale constitue un préalable indispensable à la pacification dans une zone de guerre civile comme les Mauges (Anne Rolland-Boulestreau, 2019).

– Expérience (contre-)révolutionnaire et transmission politique familiale dans la (longue) durée :

L’objectif de ce dernier axe est de comprendre comment dans certaines familles se transmet un certain héritage politique, assumé et renforcé génération après génération, comme dans le cas des Carnot, célèbre dynastie républicaine. Comment se constitue, s’entretient, et se transmet une mémoire politique familiale (révolutionnaire ou contre-révolutionnaire) et jusqu’à quand perdure cet héritage politique et familial ? Il s’agira d’inscrire ce dernier axe dans le prolongement de travaux classiques sur les transmissions politiques et mémorielles intergénérationnelles, comme ceux de Sergio Luzzato (1991) ou de Louis Hincker (2008).

Modalités de proposition :

Le colloque se tiendra les vendredi 1er avril et samedi 2 avril 2022 à Valence (Drôme). Chaque communication devra durer 20 min.

Les propositions doivent être envoyées au plus tard le 15 octobre 2021 à l’adresse suivante :

nicolas.soulas@ac-aix-marseille.fr

Les propositions de communication doivent comprendre les informations suivantes :

  • Nom, Prénom et courriel ;
  • Titre de la communication et résumé en 2000 signes maximum ;
  • Une brève bio-bibliographie.

Le comité d’organisation répondra aux propositions avant le 15 décembre 2021. Les frais d’hébergement, de déplacement et la restauration sont pris en charge par le colloque. La publication des actes du colloque est prévue.

Coordination :

Paul Chopelin, maître de conférence en histoire moderne à l’Université Lyon 3 (LARHRA UMR 5190)

Boris Deschanel, maître de conférence en histoire moderne à Avignon Université (Centre Norbert Elias UMR 8562)

Virginie Martin, maîtresse de conférence en histoire moderne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (IHMC-IHRF UMR 8066)

Nicolas Soulas, docteur en histoire moderne, chercheur associé au LARHRA (UMR 5190)

Comité scientifique :

Michel Biard, Université de Rouen

Annie Duprat, Université de Cergy-Pontoise

Louis Hincker, Université de Clermont-Auvergne

Hervé Leuwers, Université de Lille

Anne de Mathan, Normandie Université

Anne-Rolland Boulestreau, Université catholique de l’Ouest

Bibliographie (non exhaustive) citée dans l’argumentaire :

  • Jacques André, La Révolution fratricide. Essai de psychanalyse du lien social, Paris, PUF, 1993.
  • Jean Bethke Elshtain (dir.), The Family in Political Thought, Brighton, The Harvester Press, 1982.
  • Claire Cage, Unnatural frenchmen. The politics of priestly celibacy and marriage 1720-1815, Charlottesville, University of Virginia Press, 2015.
  • Paul Chopelin, Ville patriote et ville martyre : Lyon,l’Église et la Révolution, 1788-1805, Paris, Letouzey & Ané, 2010.
  • Philippe Daumas, Familles en Révolution. Vie et relations familiales en Île-de-France, changements et continuités (1775-1825), Rennes, PUR, 2003.
  • Suzanne Desan, The Family on trial in Revolutionary France, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, 2004.
  • Annie Duprat, « Les affaires d’État sont mes affaires de cœur. Lettres de Rosalie Jullien, une femme dans la Révolution 1775-1810, Paris, Belin, 2016.
  • Geneviève Fraisse, Les deux gouvernements : la famille et la Cité, Paris, Gallimard, 2000.
  • Jennifer Ngaire Heuer, The Family and the Nation. Gender and Citizenship in Revolutionary France, 1789-1830, Ithaca, Cornell University Press, 2005.
  • Louis Hincker, Citoyens-combattants à Paris 1848-1851, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2008.
  • Lynn Hunt, Le roman familial de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1995 [1992].
  • Hervé Leuwers, Camille et Lucile Desmoulins : un rêve de République, Paris, Fayard, 2018.
  • Marie-Françoise Lévy (dir.), L’enfant, la famille et la Révolution française, Paris, Orban, 1989.
  • Sergio Luzzato, Mémoire de la Terreur. Vieux montagnards et jeunes républicains au XIXe siècle, Lyon, PUL, 1991.
  • Xavier Maréchaux, Noces révolutionnaires. Le mariage des prêtres en France 1789-1815, Paris, Vendémiaire, 2017.
  • Siân Reynolds, Marriage and Revolution. Monsieur and Madame Roland, Oxford, Oxford University Press, 2012.
  • Anne Rolland-Boulestreau, Les notables des Mauges. Communautés rurales et Révolution (1750-1830), Rennes, PUR, 2004.
  • Anne Rolland-Boulestreau, Guerre et paix en Vendée 1794-1796, Paris, Fayard, 2019.
  • Anne Verjus, Le cens de la famille : les femmes et le vote, 1789-1848, Paris, Belin, 2002.
  • Anne Verjus, Le bon mari : une histoire politique des hommes et des femmes à l’époque révolutionnaire, Paris, Fayard, 2010.
  • Anne Verjus, Denise Richardson, Le roman conjugal. Chronique de la vie familiale à l’époque de la Révolution et de l’Empire, Seyssel, Champ Vallon, 2011.