Actualités générales, Disparitions

Disparition de Marcel Dorigny

 

La SER vient d’apprendre, avec beaucoup de tristesse, la disparition de Marcel Dorigny (1948-2021). Ancien maître de conférences à l’université Paris VIII, il a profondément marqué les études révolutionnaires par ses importants travaux sur les Girondins, puis sur les abolitions de l’esclavage. Il laisse une bibliographie abondante et novatrice : Les abolitions de l’esclavage (PUF), L’Atlas des abolitions (avec B. Gainot, Autrement), La société des amis des noirs (avec B. Gainot, Ed. Unesco).

 

Durant des années, il a assuré d’importantes responsabilités dans de nombreuses associations, comme l’Association française d’histoire des outre-mers (AFHOM), la revue XVIIIe siècle, ainsi que les Annales historiques de la Révolution française et la Société des études robespierristes, dont il a été secrétaire général entre 1999 et 2005.

 

La SER et les AHRF lui rendront prochainement hommage.

 

Marcel Dorigny (1948-2021) et la Société des études robespierristes

Par Serge Aberdam

 

Nous étions nombreux aux funérailles de Marcel Dorigny, le 30 septembre dernier au Père Lachaise, et l’émotion était palpable : plusieurs orateurs et oratrices eurent du mal à conclure leurs interventions, centrées sur les dernières décennies de son activité d’historien, sur les abolitions de l’esclavage, la révolution aux Antilles ou l’animation de la revue Dix-huitième siècle.

Les anciens de notre Société connaissent aussi les activités antérieures de Marcel. Longtemps auditeur des séminaires d’Albert Soboul puis de Michel Vovelle, membre de la SER et contributeur de notre Revue, il avait étudié à fond le courant girondin dont il était avec sa thèse devenu un des meilleurs connaisseurs. Il avait développé ce thème fondamental en lien avec son « terrain » local choisi, à Autun en Saône-et-Loire, que son immense érudition lui permettait de combiner avec ses recherches sur la Gironde, et de là vers la révolution antillaise et l’esclavage.

Dans les séminaires de Michel Vovelle, les interventions de Marcel étaient attentivement écoutées : son humour pince-sans-rire était un rempart efficace contre les généralités bavardes. Je n’étais pas seulement impressionné par son érudition : il était le spécialiste incontesté d’Autun, siège épiscopal de Talleyrand, et je m’intéressais aux mouvements métayers du Morvan et à leur porte-parole, le curé Carion qui avait été un adversaire politique de Talleyrand. Nous nous sommes rapprochés.

Comme bien d’autres, nous étions investis dans les multiples projets du Bicentenaire, et je ne suis pas sûr que nous ayons alors été tout à fait conscients de l’énormité du phénomène social et culturel que cela représenterait. Cette ampleur et la place qu’y tenait l’Institut d’histoire de la Révolution française laissaient en tous cas espérer que les conditions matérielles de la recherche sur l’époque révolutionnaire puissent au final s’améliorer grandement.

D’évidence, beaucoup était fait au plan de l’animation associative de la commémoration, de l’activité scientifique et des recrutements universitaires. Mais très peu était programmé en termes institutionnels. Le Musée de Vizille, seule création scientifique durable du Bicentenaire, était publiquement critiqué au plan de son orientation muséologique par ceux là mêmes qui l’avaient porté sur les fonds baptismaux. Mais puisque l’Institut d’histoire de la Révolution française avait depuis longtemps un budget propre et était associé avec une unité de recherche CNRS dédiée, qu’était-il possible d’obtenir de la puissance publique comme moyens pérennes, en termes de locaux et de postes fixes ? Il y eu là-dessus d’ardentes discussions avec Michel Vovelle, qui tournèrent court, les circonstances favorables ne durant pas au-delà de la commémoration officielle.

Dans une collectivité scientifique qui s’était bien renforcée, chacun d’entre nous s’efforça ensuite de prolonger les chantiers ouverts collectivement. Mais il ne fallut pas une décennie pour que les organes de recherche spécialisés sur notre période se retrouvent terriblement menacés. La réorganisation permanente des structures universitaires et celle, plus lente mais inéluctable d’institutions de recherche comme le CNRS combinaient leurs effets. De multiples procédures réductrices étaient désormais à l’œuvre, avec la hiérarchisation stricte des soutiens publics accordés aux revues ou à des instances éditoriales comme le CTHS.

C’est un tout autre débat d’organisation qui surgit alors, où il ne s’agissait plus tant de l’IHRF que du sort de la Société des études robespierristes et de son organe, les Annales historiques de la Révolution française. Notre Société comme sa Revue souffraient tout particulièrement de la diminution continue de leurs moyens, aggravée par des statuts désuets qui rendaient de plus en plus difficile le renouvellement de ses instances comme leur fonctionnement, les décisions financières ou le recrutement de nouveaux membres. Marcel, membre depuis 1983 des instances de la SER, joua de nouveau un rôle décisif dans ce débat.

Il était persuadé du besoin impérieux d’une réforme profonde de nos statuts pour rendre un fonctionnement réellement collectif à notre société savante, créée en 1907 comme association de type 1901. Avec notre trésorier Claude Coquart, le juriste Michel Pertué et bien d’autres, Marcel impulsa un débat d’une tenue exemplaire devant l’assemblée générale de juin 1997, avec adoption de statuts qui devaient être finalement validés en novembre 1998, après l’intervention des autorités de tutelle des associations. Entretemps, en février 1998, la mort subite de François Hincker, secrétaire de rédaction des AHRF, avait rendu encore plus manifeste le besoin de conclure les discussions.

En mars 1999, notre assemblée générale procéda donc à l’élection du nouveau conseil d’administration : 47 de nos membres s’étaient portés candidats pour les 30 postes à pourvoir. En avril, les 30 élus choisirent eux-mêmes leur Bureau. Avec Michel Pertué comme président, Marcel devenait secrétaire général. Michel Vovelle n’accepta pas ce qui lui semblait être une critique de son action personnelle et démissionna spectaculairement de la Société, même s’il y eut bien des occasions, ensuite, d’en revenir à des rapports plus apaisés.

Nous avions encore beaucoup à apprendre mais la machine était lancée qui permit, collectivement, de sauver notre Revue, nos publications, nos finances et notre rayonnement même de Société. Au terme du mandat de six années que Marcel s’était fixé, de nombreuses pistes étaient tracées que nous étions en capacité de poursuivre par nos propres forces. Il a pu alors se consacrer à fond à ce chantier colonial qui lui paraissait si nettement prioritaire. Cela semble avoir été aussi l’opinion de la foule présente à ses obsèques !

Merci donc à Marcel, et nos condoléances bien sincères à Marie-Odile et à tous les siens.