Appel à communication pour une journée d’étude de jeunes chercheur/euses le 14 novembre 2022 à Lille et le 6 ou 10 février 2023 à Rouen
Être ou ne pas être républicain : une notion à l’épreuve des itinéraires individuels et collectifs
« Républicains, pour être dignes de ce nom, commencez par sentir votre dignité, relevez avec fierté votre tête, et qu’on lise dans vos regards que vous comprenez enfin qui vous êtes, et ce qu’est la République ; car ne vous y trompez pas, pour être vraiment Républicain, il faut que chaque citoyen éprouve et opère en lui-même une révolution égale à celle qui a changé la face de la France ; il n’y a rien, non absolument rien de commun entre l’esclave d’un tyran et l’habitant d’un état libre ; toutes les habitudes de celui-ci, ses principes, ses sentiments, ses actions, tout doit être nouveau ; vous étiez opprimés, il faut que vous écrasiez vos oppresseurs[1]. »
La République, telle qu’on la définit couramment aujourd’hui, est avant tout un régime sans roi, dans lequel les pouvoirs exécutif et législatif sont entre les mains des représentants élus. Cette acception contemporaine ne s’est imposée qu’au XIXe siècle. Le terme demeurait auparavant polysémique. Alors que Robespierre ne voyait pas d’incompatibilité entre la présence d’un roi (ou « chef de l’exécutif ») et la fondation d’une république en 1791, Desmoulins s’affirmait républicain antiroyaliste dès 1789. Être républicain, c’est sans doute croire en la nation souveraine. Devenir républicain est une réalité qui tient de la mutation institutionnelle mais aussi du bouleversement intime nécessaire pour faire pleinement un citoyen. Le développement du sentiment républicain se fait par acte de volonté personnelle, et l’on peut par conséquent s’y refuser. Du pamphlet à la lutte armée, l’adhésion à la République ou son rejet ont donné lieu à diverses manifestations destinées à favoriser ou entraver la diffusion d’idées. Poser la question de l’adhésion à la République, c’est interroger ses manifestations, mais aussi les stratégies mises en œuvre pour convaincre autrui de son bienfondé. Qu’elles soient majoritaires ou marginalisées, les idées républicaines font l’objet d’intenses débats qui aboutissent à une progressive stabilisation du sens donné au mot « république » et marquent durablement les institutions européennes.
Deux journées d’étude complémentaires seront organisées à Rouen et à Lille. Elles sont destinées à prolonger les réflexions de l’historiographie récente autour du républicanisme, abordée lors du colloque organisé à Vizille en septembre 2021, « Quelle République pour la Nation ? Projets républicains et Révolution française (1770-1820) ». Cette rencontre a principalement traité les aspects théoriques et conceptuels de la notion. Nous envisageons de la prolonger par l’étude de la mise en pratique des idées républicaines, des modalités de leur diffusion, des manifestations d’adhésion ou de non-adhésion aux institutions. Nous valoriserons également les contributions qui porteront sur les trajectoires des républicains hors de France et la circulation de leurs idées dans une perspective transnationale. Ces deux journées porteront sur une période allant de 1789, avec l’émergence d’un républicanisme embryonnaire et de ses oppositions, au XIXe siècle, moment de diffusion et d’affirmation en Europe de systèmes définis comme républicains. Deux axes thématiques structureront la rencontre :
– Les manifestations d’attachement à la République à travers les itinéraires des individus : une histoire par le bas
– Les mesures de diffusion ou d’endiguement du républicanisme par l’Etat, par la contrainte ou la conviction : une histoire par le haut
Des manifestations d’attachement à la République à travers les itinéraires des individus : une histoire par le bas
La Révolution française voit « le peuple » se mobiliser en masse et participer activement aux bouleversements politiques et sociaux. Les assemblées de sections et plus encore les sociétés populaires attestent de cette agency du mouvement populaire, partie prenante dans la diffusion des idées nouvelles, initiant même des politiques, exerçant des pressions sur les corps constitués. Ces citoyens qui ont agi « par le bas » ont été des protagonistes essentiels de la chute de la royauté. Dès lors que la République fut à bâtir, le mouvement populaire prit largement sa part à la fonder, à la défendre, à montrer son attachement au nouveau régime. Quels sont les signes de cet attachement ? Comment mesurer, chez ces citoyens dans l’ombre des grandes figures de la Révolution, l’engagement patriotique au service de la République française naissante ? Les prestations de serment ou plus largement « les mots de la République », dans les sociétés populaires notamment, témoignent non-seulement de la capacité à conceptualiser un référentiel politique, mais en plus du dévouement profond à cette « République assiégée », pour laquelle on combat en devenant un volontaire « volant aux frontières au secours de la Patrie ». Dans les départements, les combats menés par les citoyens pour sauver la République contre les « aristocrates » s’engagent le fusil à la main, mais également à l’occasion de fêtes civiques où cette République est à l’honneur, où l’on assimile des patriotes d’une commune à des figures emblématiques de l’Antiquité, telles Lucius Junius Brutus, rien moins que le fondateur de la République romaine, où des enfants défilent en entonnant des chants patriotiques.
Dès la première moitié du XIXe siècle, la Révolution française est perçue par certains comme l’événement fondateur de notre modernité politique. Être républicain, c’est alors se réclamer des républicains de 1792, comme l’atteste l’importance de la Société des droits de l’homme, sous la monarchie de Juillet. Œuvrer pour la République, en France, revient en partie à militer pour la préservation d’idéaux marginalisés par les restaurations monarchiques du XIXe siècle. Dans les autres pays européens, être républicain au XIXe siècle comporte souvent une dimension subversive et secrète, associée à une perspective révolutionnaire libérale de construction nationale fortement imprégnée des idéaux de la Révolution française. Le projet républicain imprègne autant Rigas Feraios à la fin du XVIIIe siècle dans les Balkans, que les révolutionnaires des années 1820 en Méditerranée, et même certains décembristes russes en 1825. Plus ou moins mises à l’écart selon le contexte, les forces républicaines peinent parfois à infiltrer les cercles de décision politique et s’attachent à d’autres moyens d’action, comme le banquet patriotique, la manifestation ou l’insurrection. L’adhésion à un régime disparu se joue décisivement dans la clandestinité, notamment, grâce au relai de la presse. La rencontre pourra faire place à des contributions qui interrogeront l’ajustement rhétorique d’un républicanisme devenu marginal et subversif, voire insurrectionnel. Cependant, les oppositions internes au sein des différents courants républicains et de facto les divergences entre partisans de la République, par exemple durant le Second Empire, en disent long sur la polysémie du terme « République » qui se complexifie dans la seconde moitié du siècle et se divise progressivement en plusieurs tendances.
Les mesures de diffusion ou d’endiguement du républicanisme par l’Etat, par la contrainte ou la conviction : une histoire par le haut
La naissance de la Ière République française est inséparable du contexte guerrier de l’automne 1792 : menacée sur ses frontières, le pays est encore exposé à l’inquiétant spectre de l’ennemi intérieur. Dans cette situation, l’adhésion des citoyens à des institutions encore en gestation est cruciale pour les représentants de la Nation. La rencontre interrogerait le lien que l’Etat cherche à tisser avec des individus qui s’opposent parfois violemment à lui. La métamorphose de la citoyenneté entreprise en 1789 fait l’objet de politiques vouées à susciter l’adhésion de la société au régime républicain. Les contributions pourraient se pencher sur la législation destinée à prouver l’efficacité des institutions (aides financières, gestion des subsistances, projets éducatifs…). En outre, l’action ou le discours des différents représentants de l’État et fonctionnaires sur le territoire de la République (représentants en mission, personnel juridique, personnel militaire, autorités locales) et leur contact avec la population pourraient faire l’objet d’intéressantes études. Si cette dynamique suppose la mise en place d’un dialogue et d’une politique de conviction, la possibilité de l’adhésion forcée à la République n’est pas à exclure du champ de la réflexion. On observe alors la construction, à l’initiative de l’État et de ses agents, d’un rapport neuf entre la République et une population dont il importe, sinon d’emporter l’adhésion, du moins de désarmer l’opposition. La base emblématique de ce rapport est bien entendu l’éducation. L’école, réalisation fondamentale constitue un enjeu central des politiques conçues pour réunir les Français sous la bannière de la République, selon une logique qui n’est pas spécifique à la France.
Le républicanisme en France, majoritaire et officiellement établi dans les dernières années du XVIIIe siècle, se pare d’une dimension subversive en partie sous l’Empire, lorsque d’anciens jacobins dénoncent le dévoiement du système, puis plus évidemment encore lors du rétablissement de la monarchie. La rencontre pourrait à cet égard aborder le traitement réservé aux républicains par des États qui ont cessé de l’être ou ne l’ont jamais été. Se poserait la question de savoir comment l’on a envisagé, en milieu scolaire par exemple, le déracinement du républicanisme récent mais vivace. Il put s’agir de mettre en doute la légitimité historique de la République ou encore de la décrédibiliser en l’assimilant par exemple à ce qu’on appelait volontiers la « Terreur ». Les monarchies européennes du XIXe ont dû composer avec un mouvement de fond, parfois rejeté dans la clandestinité et affermi par la revendication d’un lien entre républicanisme et idéaux nés de la période révolutionnaire. Cette continuité théorique gagnerait néanmoins à être interrogée sur le long terme. Les lendemains de la Première Guerre mondiale voient la création généralisée de nombreuses républiques comme nouvel état de fait. Toutefois, elles ne font pas forcément apparaître de réels mouvements républicains, si ce n’est par défaut (voire par opportunisme), dans le cadre des clivages politiques locaux et nationaux alors en recomposition, comme par exemple en Grèce où l’opposition entre libéraux et royalistes intègre après 1922 la question de la nature monarchique ou non du régime.
Indications bibliographiques :
– Michel Biard, Philippe Bourdin, Hervé Leuwers et Pierre Serna (dirs.), 1792 Entrer en République, Paris, Armand Colin, 2013.
– Thomas Branthôme et Jacques de Saint-Victor, Histoire de la République en France. Des origines à la Ve République, Paris, Economica, 2018.
– Jean-Numa Ducange, La Révolution française et la social-démocratie : transmissions et usages politiques de l’histoire en Allemagne et Autriche (1889-1934), Presses universitaires de Rennes, 2012.
– Laura Fournier-Finocchiaro et Jean-Yves Frétigné (dir.), La République en Italie (1848-1948). Héritages, modèles, discours, Laboratoire italien, n°17, 2017.
– Julie Grandhaye, Les décembristes : une génération républicaine en Russie autocratique, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011.
– Maurizio Isabella et Konstantina Zanou (dir.), Mediterranean Diasporas: Politics and Ideas in the Long 19th Century, Londres et New York, Bloomsbury, 2016.
– Sergio Luzzato, Mémoires de la Terreur, Vieux montagnards, jeunes républicains au XIXe siècle, Presses universitaires de Lyon, 1998.
– Douglas Moggach et Gareth Stedman Jones (dir.), The 1848 Revolutions and European Political Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2018.
– Raymonde Monnier, Républicanisme, patriotisme et Révolution française, Paris, L’Harmattan, 2005.
– Jorge Uria, « Modèles politiques et mouvements sociaux en Espagne : influences françaises et échanges internationaux dans le long XIXe siècle », Le Mouvement social, n° 234, 2011
Modalités de proposition :
Les journées d’étude se tiendront le 14 novembre 2022 à l’Université de Lille puis le 6 ou 10 février 2023 à l’Université de Rouen.
Les propositions devront être envoyées au plus tard le 18 mai à je.republique@gmail.com et comprendre les informations suivantes :
- Nom, prénom et courriel
- Titre de la communication proposée
- Résumé en 2500 signes maximum
Nous répondrons aux propositions avant le 20 juin 2022.
Les demandes d’informations sur le projet peuvent être adressées à cette même adresse.
Dans le mesure du possible et selon les subventions obtenues, nous veillerons à ce que chaque laboratoire organisateur –selon le lieu de la manifestation (Lille ou Rouen)– prenne en charge les frais de déplacement et d’hébergement. Le déjeuner du midi sera pris en charge par le laboratoire d’accueil.
Comité d’organisation
Université de Lille, IRHiS UMR 8529 Université de Rouen, GRHis EA 3831
Gauthier Baert Côme Barbaray
Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia Anthony Ferreira de Abreu
Stanislas de Chabalier Lukas Tsiptsios
Comité scientifique
Paula Cossart, Université de Lille Michel Biard, Université de Rouen
Philippe Darriulat, IEP de Lille Jean-Numa Ducange, Université de Rouen
Hervé Leuwers, Université de Lille Géraldine Vaughan, Université de Rouen
[1]Instruction adressée aux autorités constituées des départements de Rhône et de Loire, et principalement aux Municipalités des Campagnes, et aux Comités Révolutionnaires, par la commission temporaire de surveillance républicaine, établie à Ville-Affranchie par les représentants du peuple, le 26 Brumaire, l’an second de la république française (16 novembre 1793).
Version PDF de l’appel à communication :