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Émotions révolutionnaires (1789-1816), appel à contributions

Emotions révolutionnaires (1789-1816) / Revolutionary Emotions (1789-1816)

Appel à contributions / Call for Proposals

Numéro spécial des Annales Historique de la Révolution Française

Éditrices : Karine Rance, Denise Davidson, Valérie Sottocasa

 

 

« La Sensibilité et l’Histoire : sujet neuf » écrivait Lucien Febvre en 1941[1], neuf ans après la publication du livre de Georges Lefebvre sur la Grande Peur (1932). De nouveau, vingt ans après l’édition anglaise originale de l’ouvrage de William Reddy (la Traversée des sentiments)[2], les historiennes et les historiens s’interrogent sur le poids des émotions dans l’histoire. Certes les progrès des neurosciences ont permis des avancées, mais la difficulté d’accès aux sensibilités du passé reste la même. Comment accéder à une expérience émotionnelle qui est médiatisée si ce n’est instrumentalisée par l’individu qui la ressent et qui la partage ? Comment désintriquer émotion et raison dans le choix individuel, sans retomber dans le cliché des foules populaires mues par les émotions et d’une élite guidée par la raison ? Comment historiciser les affects et les inscrire dans un régime émotionnel spécifique ?

Les affects sont au cœur de la Révolution française. Enthousiasme, haine, passion, désir de vengeance, peur, colère, autant de sentiments qui sont à la fois les moteurs de l’action révolutionnaire (individuelle ou collective) et les produits de celle-ci. Les émotions des foules révolutionnaires ou contre-révolutionnaires telles qu’elles sont perçues par les députés sont un levier central des débats aux assemblées nationales et donc des orientations politiques. Mais en retour la désignation des rebelles sous le terme de « brigands » a pour fonction de susciter des émotions – peur, rejet, dégoût – justifiant une politique répressive sévère. Massacres et répressions, fêtes et mobilisations suscitent ainsi des émotions structurantes pour la vie politique qui participent de l’engagement politique et de la radicalisation, du basculement dans la violence et de la « conversion existentielle »[3].

Quelles sources mobiliser ? Il faut en passer souvent par le truchement des voies administratives, médicales, judiciaires, policières ou pétitionnaires. Comment les interpréter ? On sait par exemple que l’expression de la peur était, au moment de la Terreur, potentiellement interprétée comme le signe d’une culpabilité puisque le citoyen vertueux ne devait pas connaître l’effroi[4] (Biard/Linton/Tackett). En fonction des périodes et du genre des acteurs, quels registres émotionnels sont jugés légitimes dans la sphère publique et dans la sphère privée ou au contraire disqualifiant pour celui ou celle qui les expriment ? Les élites produisent souvent des ego-documents, mais si l’on se place du point de vue des acteurs populaires, il faut constater que les sources sont rares et indirectes. La sensibilité de chaque acteur est révélée, mais souvent distordue, lorsqu’il entre dans l’histoire par son engagement, lorsqu’il compose une foule, lorsqu’il devient un « protagoniste » des événements (Haïm Burstin). Interroger la place des émotions, c’est aussi s’interroger sur ce qui décide les acteurs à rompre avec le confort d’une situation familière pour s’engager dans l’action, prendre les armes, risquer sa vie, tuer des voisins, des élus…Où se situe le point de rupture, le seuil du supportable et l’intolérable ? Comment s’articulent les expériences émotionnelles individuelles et collectives ? Comment les émotions médiatisent l’expérience révolutionnaire ?

Ce sont là quelques-unes des pistes que nous souhaiterions explorer dans ce numéro des Annales historiques de la Révolution française. Les propositions d’articles (sous forme d’un résumé d’une vingtaine de lignes) sont à envoyer avant le 30 octobre 2022. Les articles seront à envoyer pour le 31 mars 2023.

Merci d’envoyer vos propositions à karine.rance@uca.fr ; ddavidson2@gsu.edu ; valerie.sottocasa@wanadoo.fr

 

Revolutionary Emotions (1789-1816)

In 1941, nine years after the publication of Georges Lefebvre’s, The Great Fear of 1789, Lucien Febvre described “feeling and history” as a “new subject.”[5] Today, twenty years after the publication of William Reddy’s The Navigation of Feeling,[6] historians continue to debate the role of emotions in history. Progress in neuroscience has led to many methodological innovations, but the difficulty of accessing feelings from the past remains. How can we analyze an emotional experience that is publicized, if not instrumentalized, by the person who feels and shares it? How can we separate emotion and reason in people’s choices without falling into the cliché of the masses who are driven by emotions versus elites guided by reason? How can we historicize emotions and situate them in specific emotional regimes?

Emotions are at the heart of the French Revolution. Sentiments such as enthusiasm, hate, passion, the desire for vengeance, fear, and anger were at once motors of revolutionary action and responses to it. The emotions of revolutionary or counterrevolutionary crowds as they were perceived by deputies were central to legislative debates and thus also to the formation of political alignments. But designating rebels as “brigands” also functioned as a means to incite emotions—fear, rejection, disgust—justifying severe political repression. Massacres and repression, festivals and mobilization, elicited emotions that in turn shaped political life and encouraged political engagement and radicalization, from the turn toward violence to “existential conversions.”[7]

What sources should be mobilized? It is often necessary to rely upon official documents, be they administrative, medical, judicial, police records, or requests from petitioners. But how to interpret them? We know for example that the during “the Terror” expressions of fear could be interpreted as a sign of guilt because virtuous citizens should not feel frightened.[8] Varying by period and by gender and other distinctions, what emotional registers were judged legitimate in the public and the private spheres and which appeared unacceptable? While elites often produce life-writings, sources that provide access to more popular points of view are rare and indirect. In such sources, people’s emotions may be revealed, but they are often distorted by the actors’ entry into history through political engagement, when people form a crowd, or become protagonists in events. To interrogate the role of emotions is also to interrogate what makes people decide to leave their comfort zones to engage in actions, take up arms, risk their lives, or kill their neighbors or elected officials. Where is the point of rupture, the threshold between what is bearable and what is intolerable? How are individual and collective emotional experiences articulated? How do emotions shape revolutionary experiences?

These are some of the paths that we hope to explore in this special issue of the Annales historiques de la Révolution française. Proposals for articles (in the form of a summary of about twenty lines) must be submitted before 30 October 2022. The selected articles will be due by 31 March 2023.

Please submit your proposals to karine.rance@uca.fr ; ddavidson2@gsu.edu ; valerie.sottocasa@wanadoo.fr

 

[1] Annales d’histoire sociale, t. 3, janvier-juin 1941, p. 5-20.

[2] Reddy, William. La traversée des sentiments. Un cadre pour l’histoire des émotions (1700-1850). Dijon, 2019 (éd. originale angl. 2001).

[3] Ludivine Bantigny, Deborah Cohen, Boris Gobille, Sensibilités. Histoire, critique et sciences sociales, n°7/2020 : la chair du politique.

[4] Linton, Marisa. Choosing Terror : Virtue, Friendship, and Authenticity in the French Revolution. Oxford, 2013. Tackett, Timothy. Anatomie de la Terreur. Paris, 2018 (éd. originale angl. 2015). Michel Biard, La liberté ou la mort, 2015.

[5] Annales d’histoire sociale, t. 3, janvier-juin 1941, p. 5-20.

[6] William Reddy, The Navigation of Feeling: A Framework for the History of Emotions (Cambridge, 2001).

[7] Ludivine Bantigny, Deborah Cohen, Boris Gobille, Sensibilités. Histoire, critique et sciences sociales, n°7/2020 : la chair du politique.

[8] Marisa Linton, Choosing Terror: Virtue, Friendship, and Authenticity in the French Revolution (Oxford, 2013); Timothy Tackett, The Coming of the Terror in the French Revolution (Cambridge, MA, 2015); Michel Biard, La liberté ou la mort. Mourir en député, 1792-1795 (Paris, 2015).

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