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In memoriam Marita Gilli (1937-2023)

Marita Gilli (1937-2023)

 

 

C’est une grande tristesse d’apprendre le décès, le 23 janvier 2023, de Marita Gilli, professeure honoraire de littérature et civilisation allemandes à l’université de Franche-Comté. Elle avait 85 ans.

Agrégée d’allemand, Marita Gilli oriente rapidement ses recherches vers les écrivains engagés dans le mouvement révolutionnaire allemand de la fin du XVIIIe siècle, en particulier Georg Forster auquel elle consacre son doctorat d’État, soutenu à la Faculté des Lettres de Besançon en 1974, Georg Forster. L’œuvre d’un penseur allemand réaliste et révolutionnaire (1754-1794) (Paris, Honoré Champion, 1975). Professeure en 1976, elle anime bientôt un axe de recherche interdisciplinaire sur la Révolution française au sein du Laboratoire Littérature et Histoire des Pays de langues européennes, qu’elle a contribué à créer en 1968, avec d’autres enseignants chercheurs, dont Albert Dérozier, Roger Barny ou Aimé Guedj. Elle est, par ailleurs, la première femme doyenne de la Faculté des Lettres de Besançon, en 1979.

En 1983, dans Pensée et pratiques révolutionnaires à la fin du XVIIIe siècle en Allemagne (Annales littéraires de l’université de Besançon, vol. 285), Marita Gilli permet aux lecteurs non germanophones (j’en témoigne) de se familiariser avec ces « Jacobins allemands » si controversés, publicistes, philosophes et hommes de lettres, obscurs ou connus, qui se manifestent par la presse, le théâtre, le roman, Frölich, Campe, Knigge ou J. B. Erhrard, sans oublier Forster, « âme » de la République de Mayence. Il lui revient donc, en toute logique, de contribuer, dans ce domaine, au Dictionnaire historique de la Révolution française d’Albert Soboul (PUF, 1989). Puis, assurant la poursuite de l’entreprise lancée par Soboul (PUF, 2 volumes, 1977, avec Guy Lemarchand et Michèle Fogel), Michel Vovelle la sollicite pour achever la monumentale histoire du Siècle des Lumières avec Guy Lemarchand et Monique Cubells dans la prestigieuse collection « Peuples et civilisations » (L’apogée/1750-1789, 2 volumes, PUF, 1997).

C’est à l’occasion des travaux de la Commission de recherche historique pour le bicentenaire que j’ai rencontré Marita Gilli, lors de réunions parisiennes ou de colloques auxquels nous participions. Elle-même a d’ailleurs organisé, à l’université de Franche-Comté, d’importantes rencontres en 1986, 1987, 1989, dont l’une sur un thème qui lui était cher, Région – Nation – Europe : unité et diversité des processus sociaux et culturels de la Révolution française (Les Belles Lettres, 1988).

J’ai eu le plaisir de poursuivre ces rencontres régulières avec Marita Gilli au CTHS, dans la Commission Jaurès où j’ai siégé à partir de 1993. Très assidue aux réunions, elle a joué un rôle essentiel par sa calme gentillesse, sa distance toujours bienveillante de « germaniste », surtout lorsque des frictions entre historiens ont surgi, en 1999, à l’occasion de la réforme des statuts qui marquait la fusion de cette Commission dans une Section d’histoire des mondes modernes, de la Révolution française et des révolutions remodelée. Elle a ainsi contribué au succès, non démenti depuis, de cette Section et a donné, en 2005, à la collection Format du CTHS, un très riche volume, Un révolutionnaire allemand, Georg Forster (1754-1794). Ce livre nous offre la traduction et l’édition critique des principaux textes écrits par Forster pendant la révolution mayençaise, puis le séjour devenu exil à Paris jusqu’à la mort prématurée, en janvier 1794, principalement les lettres à sa femme et son beau-père, mais aussi au général Custine et surtout à ses « frères et amis » de la Société des Jacobins de Mayence et aux membres de l’éphémère Convention rhéno-germanique. Marita Gilli a aussi participé très régulièrement et activement aux Congrès annuels du CTHS, offrant des communications toujours suggestives sur des sujets qu’elle maîtrisait avec brio (ainsi, au 132e Congrès à Arles, en 2007, elle a livré une contribution passionnante sur les options artistiques et esthétiques de Forster, auteur des Vues sur le Rhin inférieur, récit réflexif des voyages avec son ami Alexandre Humboldt).

Marita Gilli ne ménageait pas sa peine pour mener à bien des chantiers de recherches collectifs. En témoigne, dans une bibliographie impressionnante (en français et en allemand), la part des directions d’ouvrages publiés dans la collection des Annales littéraires de l’université de Besançon, puis aux Presses universitaires de Franche-Comté (PUFP) qu’elle a d’ailleurs contribué à organiser et dont elle a été la première directrice en 1997.

Les lecteurs des Annales historiques de la Révolution française se souviendront avec plaisir de ses contributions à la revue, par des articles, la direction d’un numéro spécial consacré, en 1984, au « Mouvement révolutionnaire dans les pays allemands » (n° 255-256) et de très nombreux comptes rendus d’ouvrages en langue allemande.

Après son départ en retraite, collègues, amis et élèves ont offert à Marita Gilli un beau volume d’hommage, Émancipation – Réforme – Révolution (PUPF 2000, avant-propos de Chantal Tatu et introduction de Daniel Minary), organisé autour des trois axes de  recherche qui étaient les siens, les Lumières et le thème de l’émancipation dans la littérature et la pensée en France et en « Allemagne » au XVIIIe siècle, la Révolution française et ses « résonnances », l’Europe, enfin, et les identités culturelles « entre deux siècles ».

Marita Gilli laisse une contribution majeure à ces « transferts culturels » dont elle a renouvelé  l’approche en profondeur, avec une immense modestie et un grand talent. Elle a su conserver une subtile approche de « littéraire », sans négliger les apports historiens aux structures socio-mentales. Sa mort, au-delà de la tristesse qu’elle inspire à ceux qui ont eu la chance de la côtoyer, est une perte pour les études révolutionnaires en France et en Allemagne.

 

Françoise Brunel, 29 janvier 2023