Dès le milieu du XIXe siècle, certains historiens russes étudiaient la « Grande révolution française » pour essayer de comprendre ce qui attendait ou non la Russie. Entamé par des libéraux, systématisé par les marxistes, ce recours aux analogies entre les deux pays est devenu toujours plus étroit avec le début du XXe siècle et la Révolution russe. A tel point que, comme Tamara Kondratieva l’a montré dans un livre devenu classique, ce sont en des termes directement venus du vocabulaire de la Révolution française que les soviétiques formulèrent alors certains des dramatiques conflits politiques qui les divisaient. Il n’est alors pas étonnant que les études sur la Révolution française soient devenues en URSS un enjeu durement disputé, puis particulièrement contrôlé, et ceci presque jusqu’à notre époque. Mais, symétriquement, en France, ces mêmes études ont été en large part renouvelées par ce qui se passait « à l’Est », d’autant que les risques que courraient les chercheurs soviétiques ne les ont jamais dissuadés de s’intéresser à la crise de l’Ancien régime français, en prolongeant les travaux de la première école russe. Jouant des contraintes qui leur étaient imposées pour réinvestir le sujet de façon originale, certains ont ainsi exercé, à leur tour, une influence considérable sur l’historiographie française, alors au sommet de son prestige. On y trouve même, sous un certain angle, les origines de la référence bretonne aux Bonnets rouges du 17ème siècle qui a refait surface en France à la fin 2013. D’où l’intérêt de revenir sur une célèbre controverse entre Boris Porchnev et Roland Mousnier, controverse qui introduit elle-même à la difficile et lente reprise des relations entre historiens soviétiques et occidentaux mais éclaire bien plus largement les contraintes qui s’exercent sur la façon d’écrire l’histoire.
Les seize communications ici présentées sont issues d’un colloque tenu en 2006 à Vizille et publiées à Moscou dès 2007. Elles donnent de précieux éclairages sur les conventions implicites ou explicites et les contraintes exercées pendant une soixantaine d’années sur des historiens soviétiques mais aussi, par raccroc, français ou occidentaux. Elles illustrent les réelles avancées scientifiques ainsi que la difficile construction des relations professionnelles et humaines, par-delà les crimes de la dictature stalinienne.
Ouvrage publié sous la direction de Serge Aberdam et Alexandre Tchoudinov. Avec l’aide, à Paris, de Christophe Blanquie, Sonia Colpart, Jean-Numa Ducange, Florence Dupont et Hélène Rol-Tanguy.