L’exposition du Louvre, la première de cette ampleur consacrée à Hubert Robert, ce peintre au destin inséparable du musée le plus fréquenté au monde, est remarquable, passionnante, à une réserve près, que nous aborderons au final.
L’exposition est remarquable par l’ampleur des toiles exposées et leur inscription dans le parcours original de l’artiste. Ouverte par le célèbre portrait d’Élisabeth Vigée-Lebrun, autre vedette récente des expositions parisiennes, elle se termine par les vues superbes des galeries imaginaires du Musée dont Robert est redevenu le conservateur, quinze ans après l’exercice de cette charge pour des souverains qu’il a servi avec passion et entregent.
La Révolution ne représente d’ailleurs que l’avant-dernier volet d’un parcours décomposé en étapes marquantes, de façon didactique et pédagogique. Le visiteur est frappé d’emblée par les qualités de l’artiste, que Diderot développera dès 1767 dans ses critiques des salons, tenus tous les deux ans à l’emplacement du musée actuel du Louvre. Le séjour à Rome (1754-1765) confirme les dons d’un peintre conquis par la poésie des ruines antiques, à condition qu’elles montrent, à côté de la fuite du temps et de l’usure des pierres de leur inscription dans un espace familier et dans la vie quotidienne : celle des charrettes sur les ponts, des lavandières (lingère, blanchisseuses), des barques, de l’art des jardins. L’intrusion des hommes de conditions sociales diverses dans des paysages «sublimes» (chutes, gorges) est parfois susceptible d’éveiller une sensation de «belle horreur» chez le spectateur. Tout paraît «facile» tant la couleur est maîtrisée dans ces recompositions poétiques des ruines et des monuments d’un passé prestigieux.
Au fil des salles se précisent les aspects «visionnaires» du «Robert des ruines», du créateur d’une architecture utopique (sa spécialité à l’Académie), du concepteur de jardins idéaux (Versailles, Méréville 1786-1792), du décorateur des palais et châteaux (Bagatelle, Rambouillet, Chanteloup, Auteuil). Plus originaux sont les tableaux qualifiés de «scènes de genre» (en hommage à Chardin), et le regard porté sur les démolitions des ponts parisiens, ou le recensement des Monuments de Paris (au salon de 1789). On aurait pu souhaiter une inscription plus précise de l’artiste dans le contexte artistique (les salons, l’académisme), social (les relations, les clients), la hiérarchie et les courants picturaux (Piranèse, Joseph Vernet, Fragonard) dominants avant la Révolution. Mais comment rester indifférent devant tant de dons, mis en valeur par la disposition des toiles, l’éclairage subtil et la pertinence des commentaires ?
L’exposition est également passionnante par l’aventure d’un artiste dont la carrière se confond avec l’histoire du Louvre, par une mise en valeur réciproque de leurs apports respectifs : c’est l’objet de la dernière salle. En effet, Hubert Robert a résidé dès 1778 dans un atelier du Louvre, rêvant d’aménager déjà la Grande galerie, avant de devenir, entre 1784 et 1789, le conservateur du musée royal pour les tableaux, les cultures et les vases.
Contrairement à l’affirmation d’un panneau, le musée devenu national a été ouvert au public le 10 août 1793 pour la fête de la Régénération et pour le salon de 1793 (687 toiles exposées) et non en 1795, avec le seul Hubert Robert. Après l’arrestation de ce dernier, et sa libération (le 4 août 1794), Robert redevient président et conservateur du Louvre, envisage à nouveau la transformation de la Grande galerie, dès 1796, qu’il ouvre au grand public au moment du Consulat (1800). En 1802, Hubert Robert est remplacé par Vivant-Denon au poste de conservateur du Louvre, et perd son atelier en 1806. Ses «caprices» architecturaux et ses représentations de la Grande galerie, en ruines, puis parfaite, sont de véritables chefs-d’œuvre, témoignant d’une intense activité artistique pendant le Directoire. C’est d’autant plus passionnant que Robert a également représenté le musée voisin des Monuments français (Dépôt des Augustins avant 1795), dirigé par Alexandre Lenoir, de 1791 à 1816. Il existe plusieurs versions du jardin Élysée de ce musée, peint par Robert, à Pittsburgh, Brême, Carnavalet. Il a surtout peint la salle du XVIe siècle, avec le tombeau de Diane de Poitiers, entre autres, vers 1800, rendant ainsi compte du travail gigantesque entrepris depuis une décennie pour la sauvegarde du patrimoine, fut-il monarchique. Lenoir rendra par la suite hommage à Hubert Robert après le décès de ce dernier. Il est exceptionnel que deux expositions temporaires voisines soient aussi complémentaires que celle d’Hubert Robert aux côtés des Monuments français !
Un seul regret, que l’on pourra sans doute minorer en considérant les objectifs des concepteurs de l’exposition. Il concerne la place et les analyses de la Révolution française confrontée à la carrière et aux œuvres d’Hubert Robert. Elle n’occupe qu’une salle sur quinze, en l’absence de nombre de tableaux présentés au Musée de Valence au moment du Bicentenaire de 1789. Plusieurs aspects de la production de l’artiste font défaut, ou mériteraient une plus grande mise en perspective. Hubert Robert a fait partie des sociétés d’artistes sous la monarchie constitutionnelle (la Commune des arts) et la première République (La Société populaire et républicaine des Arts), à la différence de Madame Vigée-Lebrun (émigrée) et aux côtés de David. Il n’a cessé de présenter ses toiles aux salons (1791, 1793, an III). Il a été l’un des grands témoins de la Révolution, de l’extraordinaire Démolition de la Bastille (1789) à la Violation des tombeaux des rois à Saint-Denis (1793), en passant par la dernière messe de la famille royale et les préparatifs de la fête du 10 août 1793. Invité de la commune de Brutus (Ris) au moment de la déchristianisation au moment de son arrestation, il n’a cessé de peindre, pendant les 10 mois de sa détention, une chronique de la vie des prisons qui n’est qu’esquissée dans l’exposition, rapide reflet de la soixantaine de ses œuvres carcérales. Il n’est donc pas loyal de faire de la période montagnarde de salut public une période de Terreur et de vandalisme artistique dont Robert aurait été la victime ou l’adversaire. Dire que Robert «sent proche de sa nuque le tranchant de la guillotine» et qu’il a connu le «traumatisme du vandalisme révolutionnaire» ne permet pas au visiteur de comprendre l’essence de cette période qui a permis la création de musées et de conservatoires ouverts au public, associant des artistes et des conservateurs aussi opposés sur le plan des idées que Jacques Louis David, Hubert Robert, et Alexandre Lenoir. C’est sur cet acquis des travaux des historiens de l’art de notre génération que nous aurions aimé voir conclure cette magnifique exposition, plutôt que sur l’affrontement, à nos yeux largement factice du conservateur (Hubert Robert) et de prétendus «Vandales» !
La visite complémentaire des deux expositions présentées au Louvre propose ainsi au visiteur un grand moment d’histoire et de méditation autour de la poésie et du sublime des ruines et des monuments de l’Ancien Régime et de la Révolution, transcendé par les visions de l’artiste, animé par les témoignages précieux et des anecdotes de la vie quotidienne !
Serge Bianchi
Illustration du Carrousel: La Bastille dans les premiers jours de sa démolition . 1789. Huile sur toile. H. 77; l. 114 cm. Paris, musée Carnavalet © Musée Carnavalet / Roger-Viollet.