Jean-Christophe Gaven, Le crime de lèse-nation. Histoire d’une invention juridique et politique (1789-1791), Paris, Presses de Sciences-Po, 2016, 559 p. ISBN : 978-2-7246-1880-8. 28 €. Index nominal et topographique, bibliographie.
Extrait
La répression judiciaire de la lèse-nation souscrit incontestablement à la réforme provisoire et urgente de la procédure criminelle décrétée par les constituants dès le mois d’octobre 1789. Elle manifeste une allégeance réelle à son esprit et une application souvent conforme à ses dispositions. Les erreurs et les détournements existent, bien sûr, et, sans nier leur importance, force est de constater qu’ils ne témoignent pas d’une instrumentalisation de la procédure criminelle à des fins partisanes ou d’élimination politique. Forts d’une procédure qui n’a pas vocation à déroger aux garanties individuelles ordinaires, les tribunaux de lèse-nation apparaissent comme le lieu privilégié de la résistance aux discours et aux impatiences qui, dans le cadre des recherches extrajudiciaires notamment, suggèrent l’abandon des formes face aux impératifs de la sûreté nationale et collective.
Conformément à l’une des missions originelles de cette justice particulière, la lèse-nation n’a pas seulement soustrait les proscrits de l’été 1789 à la vengeance des foules, elle a souligné tout au long de la période, jusqu’en 1791, l’appartenance complète des criminels à la nation. L’exclusion du corps social ne précède ni le procès ni le jugement. En dépit des apparences, et malgré la faiblesse des débats parlementaires strictement consacrés à la lèse-nation, les constituants ont véritable organisé celle-ci comme une déclinaison de la justice ordinaire, dont elle devait épouser les principes autant que les voies de réforme.
Mais si cette méthode a valu aux criminels poursuivis au titre de lèse-nation un cadre judiciaire protecteur, elle n’a pas manqué de préparer un souvenir paradoxalement détestable. Car les successeurs des constituants – et l’on songe particulièrement aux conventionnels – ne retiendront pas de la lèse-nation son ambition d’ancrer la justice politique dans le champ de la justice ordinaire. Ils ne relèveront que sa faiblesse, ses lenteurs, son pointillisme légaliste. Repoussant sans le dire la dimension inclusive qu’elle a toujours conservée, qu’elle s’est même assignée, ils suspecteront une expérience pénale dont l’incrimination centrale devait pourtant revêtir les mêmes caractères que la nation en cours de constitution.
Table des matières
INTRODUCTION
I. NOUVELLE NATION, NOUVELLES PROTECTIONS
Chapitre 1. DE LA NÉCESSITÉ DE PROTÉGER LA NATION
La nation en danger
Discours pénal, protections politiques
Révolution politique, protection pénale
Chapitre 2. DE LA DIFFICULTÉ DE DÉFINIR LA LÈSE-NATION
Une intégration de circonstance
Une intégration provisoire
La légalité des crimes de lèse-nation en débat
Chapitre 3. DES USAGES DE LA LÈSE-NATION
La répression des abus d’autorité
La stabilisation de l’ordre public
La recherche des complots contre-révolutionnaires
Les peines de la lèse-nation
II. UNE NOUVELLE JUSTICE POLITIQUE ?
Chapitre 4. LES VIGILES DE LA NATION
La compétence provisoire des magistrats d’Ancien Régime
La vigilance extrajudiciaire du personnel révolutionnaire
La création d’une Haute Cour nationale provisoire
L’activité de la Haute Cour nationale provisoire d’Orléans
Chapitre 5. LES AMBIGUÏTÉS D’UN MODÈLE LIBÉRAL
La dénonciation des criminels de lèse-nation
La recherche des criminels de lèse-nation
La saisine du tribunal national
Le bénéfice des nouvelles garanties judiciaires
CONCLUSION
Annexe 1 / CHRONOLOGIE DES PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS
Annexe 2 / GÉOGRAPHIE DE LA LÈSE-NATION