L’objectif de ce travail est de comprendre comment, en replaçant le fait révolutionnaire dans la longue durée, s’articule localement le passage entre un régime appelé à devenir ancien et le nouvel ordre révolutionnaire qui s’installe entre 1789-1790 et ses ramifications à l’orée du premier XIXe siècle. Au-delà des continuités ou des ruptures politiques locales qui constituent un pan important de cette thèse, l’enquête invite à réfléchir en parallèle à la question de l’adaptation des populations face à la sédimentation des différents contextes institutionnels entre 1750 et 1820.
L’intérêt majeur du sujet réside dans la démarche adoptée, mêlant prosopographie (étude des détenteurs de fonctions locales), micro-histoire et jeux d’échelles. Dans un premier temps, l’enquête s’est portée sur une analyse de la composition des pouvoirs locaux au cours d’un long XVIIIe siècle. Il s’agissait de mettre en évidence les dynamiques politiques locales dans un espace géographique inhomogène méridional (trois provinces, une enclave étrangère) connaissant des réalités institutionnelles différentes et complexes (système municipal de type consulaire ou échevinal), à l’aune des bouleversements révolutionnaires et de la recomposition des pouvoirs locaux. La constitution d’un échantillon d’un peu plus de 5 000 détenteurs de fonctions locales a nécessité une plongée plus en amont, parfois jusqu’au XVIIe siècle, pour faire émerger des dynasties municipales.
Après avoir observé l’évolution du personnel politique local entre 1750 et 1820, j’ai également tenté d’appréhender, en menant l’analyse au ras du sol, au plus près des acteurs, les mécanismes qui conduisent les populations à adapter des pratiques politiques d’Ancien Régime, caractérisées par des gestes et des codes spécifiques, aux nouveaux contextes institutionnels à partir de 1789. Cette enquête m’a permis de me familiariser avec la micro-histoire et avec les nombreuses sources qui la rendent possible. En prenant comme objet d’étude la conflictualité politique j’ai cherché à comprendre comment la Révolution française a bouleversé les échiquiers politiques locaux en intégrant de nouveaux acteurs tout en recyclant de vieux conflits d’Ancien Régime ou en créant de nouveaux. Ce faisant, j’ai tenté de démontrer que la mutation de la conflictualité et des pratiques politiques locales témoignait tout autant de l’appropriation d’une nouvelle culture politique que de l’adaptation des populations locales et de leurs stratégies politiques face aux différents contextes institutionnels entre 1750 et 1820.
Par ailleurs, le recours aux jeux d’échelles et à la micro-histoire ont permis de faire apparaître des frontières politiques complexes qui se dessinent au cours des premières années de la Révolution et qui s’enracinent. En travaillant sur les élections municipales, à l’échelle la plus fine des vécus des populations et des pratiques politiques, et sur les représentations, grâce à de nombreux supports comme les discours et les adresses, j’ai pu montrer comment des comportements politiques antagonistes apparaissent précocement dans le couloir rhodanien. Ces derniers procèdent à la fois des circulations (hommes et idées) mais aussi d’un certain imaginaire politique, inhérent à la constitution d’une nouvelle culture politique révolutionnaire.