Xe Congrès de la
Société des Études Romantiques et Dix-neuviémistes
30 et 31 janvier 2024
Fondation Singer-Polignac, Paris
« Ce qu’on entend au XIXe siècle »
La date limite d’envoi des propositions est fixée au 31 mai 2023
Appel à communications
Si les études consacrées à l’histoire des sens au XIXe siècle se sont particulièrement portées sur le domaine de la vue et de l’œil (voir le VIIIe Congrès de la SERD en 2018, à la fondation Singer Polignac, « L’œil du XIXe siècle »), avec l’appui de l’histoire de l’art, de l’histoire des représentations et de l’histoire des sciences, elles se sont plus rarement penchées sur l’univers auditif de ce siècle et sur ses capacités changeantes à percevoir le sonore (voir Épistémocritique volume 19, « Quelles sources pour l’histoire des sens ? »). De nombreux facteurs font pourtant évoluer, au cours du XIXe siècle, ce qu’Alain Corbin, avec des historiens et anthropologues venus du monde anglo-saxon et des « sound studies » (notamment Bruce R. Smith et Jonathan Sterne), ont pu appeler le « paysage sonore ».
La révolution industrielle en est bien sûr le facteur le plus évident. L’environnement sonore, notamment urbain, est alors en pleine transformation. Les romans de Zola, par exemple, témoignent de l’agitation sonore du monde industrialisé, scandé par les bruits des manufactures, des trains et des foules ouvrières. Les révolutions technologiques sont un autre facteur de ces changements, touchant à la fois la production du son et la capacité de l’appréhender : s’appuyant sur les progrès de la science acoustique, Édouard-Léon Scott de Martinville invente en 1857 le « phonoautographe » qui permet les premiers enregistrements ; on ne pourra toutefois restituer les sons qu’à partir de l’invention du phonographe en 1877 par Charles Cros et Thomas Edison. La mémoire des sons est désormais possible : les linguistes et les interprètes musicaux en seront les premiers utilisateurs.
Une étude du monde sonore s’inscrit bien sûr dans l’étude de la vie quotidienne, des bruits et des sons entendus dans les villes et les campagnes au XIXe siècle. Les bruits de la rue, objets d’une nouvelle attention, qu’ils soient cris des marchands, bruits des machines, instruments de musique, sont décrits dans de nombreuses publications (Édouard Fournier, Énigmes des rues de Paris, 1860). Le sonore scande aussi la vie du monde religieux (cloches, chants…), du monde militaire (sonneries, tambours…). Il peut aussi être un rappel à la discipline ou se faire alerte, signal de danger, dans le monde du travail.
Mais le sonore est aussi un matériau artistique et la musique sera l’un de nos premiers champs d’investigation. Au cours du siècle, la façon de l’écouter se transforme, avec l’intérêt grandissant des architectes de salles de concert et des compositeurs eux-mêmes pour l’acoustique. En outre la musique peut se faire l’écho des bruits « réels » entendus dans le quotidien (voir par exemple Les Voix de Paris […] symphonie humoristique vocale et instrumentale (1857) de Jean Georges Kastner, ou une pièce pour piano comme Le chemin de fer de Charles Valentin Alkan). Au début du XXe siècle, la réflexion des futuristes (Luigi Russolo L’Art des bruits, 1913) sur le « bruitisme » étend même les frontières de la musique et de ses instruments à celles du « bruit », et, par l’organisation de « symphonies industrielles » dans un autre espace urbain que celui de la salle de concert, invente de nouvelles formes de manifestations musicales.
L’étude des sons du théâtre répond bien sûr à des problématiques similaires. À une époque où le spectaculaire fait de plus en plus concurrence au texte, la voix n’en reste pas moins le principal attribut des artistes. Sarah Bernhardt est surnommée « la voix d’or » et l’acoustique est une composante essentielle de l’architecture théâtrale. Or la question de la « parole politique » et de son écoute rejoint par certains aspects celle de la parole théâtrale ; ici aussi il faut prendre en compte les aspects matériels – architecture des salles dédiées à la parole politique à la fin du XVIIIe et au XIXe siècles, modalités de la prise de parole. Ainsi, les règlements de la parole publique, mais aussi les commentaires sur les sons signalés dans les discours, dans les mémoires et dans les comptes rendus journalistiques des séances constituent autant de traces de la vie des assemblées. On pourra également considérer l’apparition ou la transformation d’autres lieux dédiés à la parole publique et les nouveaux « paysages sonores » qu’ils constituent : conférences mondaines, tribunes professorales (au Collège de France par exemple), arts du cirque et de la rue (foire, boniment etc.). On s’intéressera en outre aux nombreuses modalités de diffusion des « voix » politiques qui s’expriment par les médias écrits ou oraux, échos de mouvements politiques, manifestations et mouvements révolutionnaires.
Enfin, la question du son croise celle des mutations de la littérature au XIXe siècle : l’entrée dans l’« ère médiatique » et le triomphe de l’imprimé s’accompagnent d’un passage de la « littérature-discours » à la « littérature-texte » et l’on peut s’interroger sur les conséquences de ce changement de paradigme quant à la place du son dans le texte. En effet, le divorce progressif de la littérature avec la rhétorique après l’échec de la révolution de 1848, la crise du lyrisme poétique après la période romantique (une « émeute de rhéteurs » selon Zola) et les nouvelles techniques narratives de représentation du discours (par exemple chez Flaubert) posent le problème du lien entre matière textuelle et matière sonore, entre parole écrite et « parole vive ».
Ce congrès souhaite donc faire appel aux diverses disciplines qui permettent d’étudier, sur le long XIXe siècle, les manifestations des phénomènes sonores, leur perception par les hommes et les femmes de l’époque et leur présence dans les représentations littéraires et artistiques : histoire des sens et des sensibilités, histoire des représentations, histoire des sciences (acoustique), musicologie et histoire de l’art, histoire des spectacles et « sound studies », histoire littéraire, etc.
Axes d’étude suggérés
1) Les sons du quotidien
- Les bruits de la
- Les bruits des rues (fêtes, marchands, musiciens des rues).
- Le bruit des machines et des inventions industrielles.
- Les bruits et sonorités du monde du travail.
- Sonorités du religieux : cloches, processions, chants, etc.
- Sonorités du militaire : les armées, la guerre.
- La discipline par le son : sirènes, alarmes, cloches.
- Les sons liés au voyage : paysages sonores extra-européens, la question des accents, régionaux et étrangers.
- La perception des langues : les différents niveaux de langue ; les langues étrangères.
- L’intolérance au bruit.
- Être sourd au XIXe siècle.
- Le silence.
2) Sur la scène politique et artistique
- Nouveaux instruments de musique ; nouvelles sonorités des orchestres ; transformation de l’écoute musicale.
- Effets scéniques sonores ; voix des artistes ; présence sonore des spectateurs.
- Se faire entendre.
- Sonorités politiques des assemblées.
- Voix et Échos : La presse écrite comme support de diffusion de la parole et des bruits.
- Les médias oraux : les canards et colportages, informations et faits divers.
3) Comment on entend
- Les recherches scientifiques sur le bruit et ses implications médicales (Hermann von Helmoltz, psycho-physiologie de l’oreille).
- La médecine et l’étude de l’ouïe.
- L’acoustique et ses développements. Les premiers enregistrements, les premières restitutions de sons.
- Théâtre et musique : questions de l’acoustique des salles, de la portée de la voix, de l’architecture des salles.
- La musique et le bruit : la révolution futuriste, Russolo et le bruitisme.
4) Les représentations du sonore
- Les arts visuels et la représentation du sonore.
- Imitation des bruits et des sons du réel dans les œuvres musicales.
- Silence et écriture dramatique.
- Représentations picturales des sons et des bruits.
5) Le texte et le son
- Représenter le son dans la littérature : figures de rhétorique, place et rôle des sons dans les descriptions et les portraits.
- Techniques narratives : diversité des voix, rapport entre le son et la polyphonie, oral représenté, discours rapportés.
- La poésie comme « voix » de l’écriture. Voix et déclamation poétique.
- Performances orales d’écrivains.
Bibliographie
Balaÿ, Olivier, « The Soundscape of a City in the Nineteenth Century », in Ian Biddle et Kirsten Gibson (dir.), Cultural Histories of Noise, Sound and Listening in Europe 1300-1918, Londres, Routledge, 2017, p. 221-234.
Balaÿ, Olivier, L’Espace sonore de la ville au XIXe siècle, Bernin Isère, À la Croisée, 2003.
Baron, Lawrence (1982), « Noise and Degeneration : Theodor Lessing’s Crusade for Quiet », Journal of Contemporary History, no 17 (1), p. 165-178.
Biddle, Ian, et Gibson, Kirsten (dir.), Cultural Histories of Noise, Sound and Listening in Europe 1300-1918, Londres, Routledge, 2017.
Boutin, Aimée, City of Noise: Sound et Nineteenth-Century Paris, Urbana-Champaign, University of Illinois Press, 2015.
Boutin, Aimée, avec Corinne Doria et Érika Wicky, « La ville sonore, quelles sources pour l’histoire du bruit urbain ? », Épistémocritique, n°19, 2021.
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Corbin, Alain, Les Cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1994.
Corbin, Alain, « Bruits, excès, sensations, discipline : tolérable et intolérable. Entretien avec Alain Corbin », Équinoxe. Revue romande de sciences humaines, n° 11, 1994, p. 13-23.
Corbin, Alain, Le Temps, le désir, l’horreur : essais sur le dix-neuvième siècle, Paris, Flammarion, 1998.
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Didier, Béatrice, « L’écoute musicale chez Diderot », Diderot studies, n° 23, 1988, p. 55-73.
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Vaillant, Alain, La Crise de la littérature. Romantisme et modernité, Grenoble, « Bibliothèque stendhalienne et romantique », Ellug, 2005.
Les propositions de communication (environ 2 000 signes), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, sont à envoyer avant le 31 mai 2023 aux deux adresses suivantes : cecile.reynaud@ephe.psl.eu ; congresserd2024@gmail.com
L’appel à communications est ouvert à des propositions relevant de la littérature française, de la littérature comparée, de la musicologie, de l’histoire, de la philosophie, de l’histoire des arts.
Après évaluation par le comité scientifique, la réponse sera envoyée fin juin 2023.
Comité organisateur
Cécile Reynaud (École Pratique des Hautes Études, PSL)
Hélène Parent (Université Paris Nanterre)
Marie-Ange Fougère (Université de Bourgogne)
Béatrice Didier (École Normale Supérieure, PSL)
Comité scientifique
Cécile Reynaud (École Pratique des Hautes Études, PSL)
Hélène Parent (Université Paris Nanterre)
Marie-Ange-Fougère (Université de Bourgogne)
Béatrice Didier (École Normale Supérieure, PSL)
Aimée Boutin (Université de Floride, États-Unis)
Melissa Van Drie (Université de Copenhague, Danemark)