Prix Albert Mathiez

L’enthousiasme désenchanté. Éloge du pouvoir sous la Restauration

À l’occasion de la publication de la thèse de Corinne Legoy, L’enthousiasme désenchanté. Éloge du pouvoir sous la Restauration, récompensée par le prix Albert Mathiez, nous avons demandé à l’auteur de bien vouloir répondre à quelques questions au sujet de son travail et de son approche.


Corinne Legoy, L’enthousiame désenchanté. Eloge du pouvoir sous la Restauration, Société des études robespierristes, Paris, 2010

Corinne Legoy, L’enthousiame désenchanté. Eloge du pouvoir sous la Restauration, Société des études robespierristes, Paris, 2010

Il s’agit du premier entretien que publie la SER sur son site internet. Au-delà de notre volonté d’attirer l’attention sur les ouvrages que nous publions et de leur assurer une meilleure diffusion, nous souhaitons aussi que cet espace accueille progressivement les remarques, les réflexions, les observations des chercheurs spécialistes de la Révolution française et de l’Empire, dans une forme plus libre, plus flexible et plus réactive que le format papier. Que Corinne Legoy, qui a accepté de se prêter à l’exercice, soit ici remerciée.

Pourriez-vous, s’il vous plait, revenir brièvement sur votre parcours universitaire ?

Corinne Legoy : J’ai accompli, depuis la maîtrise, mon parcours universitaire sous la direction d’Alain Corbin à l’Université de Paris I. Ma maîtrise, soutenue en 1992, portait déjà sur la Restauration et avait pour objet la représentation du souverain médiéval sur les scènes parisiennes. J’ai ensuite passé l’agrégation en 1995, avant de commencer ma thèse sur l’éloge du pouvoir sous la Restauration en 1997. Je l’ai soutenue en 2004.
Je suis aujourd’hui maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université d’Orléans.

Quelle fut la genèse de votre travail sur les poètes de la Restauration, quel en fut le point de départ et quels sont les principaux résultats ?

C.L : L’idée de ce travail est venue d’un double constat, frappant à mes yeux : d’une part, l’indifférence assez large de l’historiographie à l’égard de toutes les formes d’adhésion politique, qu’elles soient gestes de soutien ou – ce qui allait devenir mon objet – écritures de célébration du pouvoir ; d’autre part, la présence d’un corpus massif de poésies d’éloge, aussi bien à la bibliothèque nationale que dans les archives, pour toute la période de la Restauration. Ce constat, conjugué à l’envie de poursuivre l’exploration, entamée en maîtrise, des liens entre histoire et littérature, est à l’origine de mon travail.
L’une des conclusions les moins attendues réside dans ce que les auteurs d’éloge ne sont pas tous des auteurs intéressés, avides de se voir pensionnés par le pouvoir et résolus à le célébrer aveuglément. Pour beaucoup, cette pratique est un engagement, une prise de parole politique enthousiaste liée à un événement. Elle s’inscrit donc bien davantage dans l’éclosion de la parole publique ouverte par la Révolution que dans le registre de la servilité.
D’autres conclusions – ou d’autres pistes – se sont dessinées également au terme de ma thèse : l’importance d’une attention précise aux textes, aussi dépréciés soient-ils, aussi convenus semblent-ils. Dans le cas des éloges du premier XIXème siècle en effet, elle nous montre combien ils sont une parole complexe, en tension entre la célébration et le combat politique, porteuse du traumatisme révolutionnaire autant que marquée par ses héritages. Une autre piste est l’importance de la pratique poétique dans la France du XIXe siècle, pratique au cœur de l’expression politique, mais également de l’éducation, des rituels sociaux et des usages intimes.

La sociologie des auteurs des éloges que vous étudiez rejoint-elle celle des nombreux plumitifs qui ont profité de la Révolution (élus et administrateurs nationaux et locaux, enseignants, etc.) ?

C.L : En fait, et c’est une autre conclusion intéressante, pas exactement. Certes, on retrouve bien parmi les auteurs d’éloge certains personnages qui ont pu « profiter » de la Révolution ou, en tout cas, voir leur carrière en bénéficier. Je pense ainsi, effectivement, à certains administrateurs, mais surtout aux chansonniers les plus fameux, qui rimèrent avec profit autant sous l’Empire que sous la Restauration.
Néanmoins, il ne faudrait pas associer l’essentiel des auteurs d’éloges à ces girouettes habiles : beaucoup ont souffert de la Révolution, ont vu leur carrière interrompue ou bouleversée, certains appartiennent à la bohème, parfois la plus misérable, de leur temps et d’autres ne songèrent jamais à profiter du pouvoir en le célébrant.

Comment les auteurs des éloges ont-ils été nourris de la Révolution : sont-ils d’une génération qui l’a directement vécue ? Entretiennent-ils des rapports de fascination ou de répulsion ?

C.L : Tous les auteurs d’éloge n’ont pas vécu directement la Révolution. On peut distinguer, en effet, au sein de ce groupe, trois générations principales : des hommes déjà mûrs en 1789, imprégnés des préceptes des collèges d’Ancien Régime, contemporains des Lumières qu’ils ont parfois combattues, mais dont ils ont bien davantage hérité – en particulier dans le creuset académique ; des hommes nés dans la décennie 1770, qui sont donc entrés à l’âge d’homme dans la Révolution et qui ont forgé, il faut le souligner, leur culture autant dans le combat contre-révolutionnaire que dans le combat révolutionnaire ; des hommes, enfin, nés dans les décennies 1790-1800, imprégnés pour beaucoup par un désaveu de la Révolution qui fit dire à Hugo : « j’avais dans l’esprit cette sorte d’effroi permanent de 1793 que les écrivains monarchistes ont réussi à créer ».
Cette diversité des parcours, des engagements et des formations fut, d’ailleurs, une autre des surprises de la thèse : on compte en effet parmi les thuriféraires de la Restauration autant d’anciens émigrés, d’adversaires convaincus de la Révolution, que d’anciens patriotes, ou d’ex-partisans des montagnards.

Corinne Legoy, L’enthousiasme désenchanté. Éloge du pouvoir sous la Restauration, préface d’Alain Corbin, Société des études robespierristes, Paris, 2010, 252p. + cd-rom, 25€, ISBN 978-2-908327-70-0

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